Lorsque ma voiture est sortie d’un brouillard à couper au couteau, je l’ai vu, là, ma maison secondaire signe de richesse et cause de mes soucis. Quelles surprises allait-elle me réserver !? Les tourments et les conditions météo de la montagne ne cessaient de lui faire des misères que je devais à chaque fois réparer. L’accueil fut glacial. A l’extérieur, 6°, à l’intérieur – 10° ! Un vrai frigo. Je me précipitais vers le tableau électrique afin de remettre les choses en ordre : Ouvrir les radiateurs. Il faisait un froid à faire migrer un ours polaire. Malgré la bonne volonté des radiateurs poussés à fond, la maison restait froide comme un cadavre. Je grelottais avec elle, pendant trois jours. J’avais beau faire, cette grande baraque, vieille de plus de deux cents ans, mettait un temps pas possible à se réchauffer. Je n’y pouvais plus grand-chose. Mon installation électrique était portée au rouge. Le simple fait d’utiliser l’allume gaz électrique de ma cuisinière faisait sauter les plombs ! La centrale électrique au bas de la montagne était à la peine. Je claquais des dents au point d’effrayer les cochons qui venaient saluer mon arrivée. Ils me donnèrent d’ailleurs une idée à les voir batifoler dans les pentes. Je m’installais dehors pour y bricoler, grâce à un soleil bienveillant, il y faisait meilleur que dedans.
Et puis le jour est arrivé où la température de la maison a dépassé les 12%, j’ai mis les provisions dans le frigo pour quelles dégèlent, tout en prenant la précaution de garder à part le fromage qui pue, celui que j’avais acheté dans la vallée en arrivant. La saison avançait vers le printemps, mes pieds de vigne et même un plan de figuier montrent un début de bourgeons. Au loin j’entends l’appel inquiet des vaches dans le brouillard de la fin d’après-midi. Ici les troupeaux vont et viennent librement. Les veaux les plus audacieux quittent le pis et vont voir si le loup y est… et les mamans vaches meuglent pour les voir revenir, gambadant le plus souvent, bien contents d’avoir retrouvé leur maman et de l’avoir inquiété. Mammifères, va !
Au petit matin j’ai un mal fou à quitter le confort douillet de mes couvertures. Le miaulement du chat qui squatte chez moi réclame sa pitance, le piaillement des oiseaux qui se disputent les miettes que j’ai laissées devant ma fenêtre, m’obligent à me lever. Ce matin le ciel se pavane en bleu azur. Il est temps d’ouvrir la maison en grand malgré un reste de fraicheur. Les radiateurs sont encore à la peine mais je n’ai plus besoin de me faire des toilettes de chat avec un rond à démaquiller oublié par ma femme. L’eau chaude arrive enfin à l’étage.
Le village est désert. Passent quelques rares voitures qui viennent des hameaux voisins. Je présume que la montée du thermomètre fera lui monter plus d’occupants au village abandonné aux grands froids. Le village, qui est ici, un monument de la culture régionale. En Corse, je suis dans le seul endroit de France où toutes les familles ont cette phrase singulière de prime abord : « Je monte – on monte – au village » entendu nulle part ailleurs. La première fois vous n’y faites pas trop attention et puis, au fil du temps, vous ne pouvez manquer de noter que tous les corses que vous connaissez vous le disent un jour ou l’autre, « je monte au village, » surtout le week-end, ou quasi. Cette migration hebdomadaire marque l’importance pour les Corses de leur patrimoine mais, je ne peux manquer de le remarquer, marqué aussi par leur désespoir de n’avoir pas les moyens de l’entretenir correctement. Un souci que je comprends puisque je le partage. Il suffit de passer quelque temps sur place pour en avoir une idée concrète.
Autrefois dans les familles nombreuses, nos anciens croyaient équitable de partager jusqu’à l’absurde les quelques biens possédés par le chef de famille. Cette pratique de parcellisation vis à vis de leurs descendants faisait qu’ils pouvaient hériter d’une moitié de maison puis la moitié du jardin – de l’autre côté de la maison pour en empêcher la vente – ou encore de quelques poutres, de quelques arbres. A notre époque, cette pratique a figé des patrimoines que se disputent souvent des fratries éclatées. Pour ne rien arranger les pouvoirs publics n’ont pas su anticiper la difficulté de céder certaines parcelles souvent minuscules qui auraient facilité le remembrement. Les vendeurs se sont heurtés chaque fois à la disproportion entre le prix de vente de terrains ou de maisons et les frais notariés qui devenaient plus importants que le montant de la négociation, figeant ainsi la faible mobilité des patrimoines. On ne s’étonnera pas si ensuite on découvre que de plus en plus de bâtiments ou de maisons, impossibles à négocier, soient abandonnés. Ils auraient pourtant suffi d’offrir aux résidences secondaires les mêmes avantages fiscaux que pour les résidences principales pour limiter la perte de valeur de ces biens qui dépérissent au fond de la France. D’ailleurs c’est devenu un sujet de préoccupation, mes enfants auront-ils les moyens d’entretenir cette vieille dame perdue en altitude, fraiche l’été mais mortelle l’hiver et qui, comme toutes les vieilles dames, demande de plus en plus de soins.
Aujourd’hui, le clocher résiste vaillamment au brouillard qui descend sur le hameau. Je vais profiter de l’humidité ambiante pour faire bruler les morceaux de palissades que le vent d’hiver a arraché à la terrasse qui surplombe la vallée. Une bonne occasion de se réchauffer, ça ne se refuse pas !