Je reçois un article d’une relation qui se doutait bien que j’allais réagir. Dans le plus pur style américain, qui consiste – par exemple – à faire le tour des hôpitaux auprès de malades pour chercher des situations juridiques susceptibles d’engranger des honoraires, une avocate française s’est attaquée au créneau des bobos et (atroces) souffrances d’élèves pris à parti par des professeurs exaspérés ou simplement soucieux de ramener un peu d’ordre dans leur classe. Par exemple confisquer un portable à un élève qui « pompe » ou qui perturbe une classe avec ses « sonneries » … La décision de ce professeur risque pourtant de la conduire devant un tribunal pour atteinte à la propriété privée ! Car la prof n’est pas seulement sévère, elle est… « Hors la loi ». C’est ce qu’affirme l’avocate Valérie Piau, spécialisée dans le droit de l’éducation, qui a publié un livre bien dans l’air du temps qui revient à poser la question de savoir comment terroriser les enseignants en judiciarisant leurs relations avec les familles.

« Les Droits de l’élève, à l’école, au collège et au lycée »[1], est un ouvrage prodiguant des conseils pratiques aux parents d’élèves souhaitant se «défendre juridiquement » contre ces profs qui «ne respectent pas la loi». Un 5/20 ? Une heure de colle ? Un redoublement ? Des modèles de lettres placés en annexe du livre permettent d’organiser la riposte judiciaire.  A la famille dont le fils mal élevé s’est vu retirer le portable utilisé en classe, Me Valérie Piau propose un courrier pour être envoyé au chef d’établissement : « Cette confiscation est illégale, car elle porte atteinte au droit de propriété et n’est autorisée par aucune disposition du code de l’éducation. Nous émettons toutes réserves concernant d’éventuelles dégradations et utilisations frauduleuses que nous pourrions constater lors de la restitution de l’appareil, dont vous avez l’entière responsabilité en tant que gardien. En conséquence, nous vous remercions de bien vouloir restituer immédiatement le téléphone à notre enfantA défaut de quoi, nous serions contraints d’envisager des suites à cette affaire afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice subi (perte de la valeur du portable, coût de l’abonnement…). »

Cette avocate, qui a bien d’autres expertises à faire valoir que d’encourager la guerre scolaire entre les familles et les écoles, aurait pu s’épargner et nous épargner un  ouvrage incitant à se tourner vers la justice pour des différents parfois risibles : des parents qui estiment que nettoyer le tag que leur fils a dessiné sur un mur de l’école est une mesure « humiliante », ceux qui exigent l’annulation d’un emploi du temps qui empêche leur rejeton de faire du foot le mercredi, ceux qui contestent l’exclusion temporaire de leur chérubin qui a apporté une arme au collège, ceux qui hurlent à la « discrimination » parce que leur fille n’a jamais dépassé la moyenne en maths…  Pour Valérie Piau, l’élève viole une règle en téléphonant en classe, mais c’est le prof qui est hors la loi parce qu’il le punit ! ». Bien que l’auteure s’en défende n’empêche que pour elle, l’enfant est toujours innocent et le prof, coupable.

Aujourd’hui, nos jeunes enseignants sont de plus en plus démunis face à des élèves inattentifs, grossiers, et souvent agressifs. Pire, ils se sentent abandonnés par leurs hiérarchies au moindre accrochage. Il suffit de deux ou trois trublions insolents et incontrôlables pour leur pourrir la vie et leur classe. De mes relations avec le monde des enseignants, j’en retiens surtout que ce sont les parents qui devraient être plus souvent mis en cause. Je connais bien des professeurs qui, par leur courage et leur sens de l’initiative, ont soutenu un enfant mal aimé ou insuffisamment encadré par ses parents ou qui, différemment, ont alertés des parents sur des troubles dont souffraient leurs progénitures. Les professeurs sont très souvent et intimement liés aux douloureuses fractures des adolescents dont ils ont la charge. Parmi ces derniers, comme dans toute société, il existe dans nos classes des perturbateurs asociaux et dangereux. Pouvoir faire preuve de fermeté et de sévérité envers eux, c’est sans doute à terme leur rendre service avant l’irrémédiable.

Enfant, j’étais pensionnaire dans une école privée de jésuites, un peu turbulent, face à la rigueur cléricale des robes noires. Même pas très bon chrétien non plus, lorsque je devais – tout endormi – faire l’enfant de chœur pour la messe du petit matin. Durant ces années là, les punitions du tirage des oreilles, des corvées, des heures à genoux devant le pupitre du maître et autres fantaisies auraient très certainement horrifiés bon nombre de jeunes professeurs de la nouvelle génération. Je peux vous dire que l’on se tenait à carreau dans nos classes et que personne, pas un élève, à ma connaissance n’a subit de traumatisme notable. Je n’ai pas grande sympathie pour le corps enseignant en général car il ne sait pas se débarrasser d’une certaine complaisance envers ceux d’entre eux qui – pour de multiples raisons – n’ont rien à faire dans la formation de nos enfants. Mais notre éducation nationale, notre mammouth,  a suffisamment de problèmes à résoudre sans avoir à mettre sur le dos des enseignants, des « sauvageons » qui, en plus de la violence, verrait leur capacité de nuisance multiplié par leur maitrise des ruses judiciaires pour casser du « prof ». Au coin, l’avocate : vous m’écrirez cent fois : « je n’émettrai plus de papier, ni d’ouvrage, susceptibles d’encourager l’indiscipline des élèves et l’harcèlement envers les enseignants ». Ah, zut ! C’est interdit…par la loi… on rêve. Comment voulez vous préparer nos enfants aux sanctions de la vie, si on ne peut envisager de le leur apprendre alors que leur personnalité est encore en construction !?

[1] François Bourin éditeur

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A propos de l'auteur

Denys

Denis Ettighoffer, est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses nombreux livres sont autant de contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Le voilà lancé dans une aventure comme il les aime, être reconnu à la fois par son imagination (pas le plus dur !) mais aussi comme un bon artisan de l’écriture romancée ( et ça c’est pas gagné !)

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