« Soumission » de Michel Houellebecq imagine la France de 2022, présidée par une Fraternité musulmane. Pourquoi ne pas considérer cette hypothèse au-delà des réactions épidermiques toujours possibles. Après tout, il était aussi impossible d’envisager la chute de bien des empires comme celui de Rome, le sac des villes d’Italie, d’Allemagne ou de la France médiévale sous la poussée des Huns et autres peuplades entrainées dans le sillage des barbares.

N’oublions pas qu’une majorité des habitants, des combattants et des gladiateurs, des esclaves ou même des scribes et des traducteurs vivant à Rome étaient issus de peuples « pacifiés » par les conquêtes romaines. Les cohortes prétoriennes issues, elles, des romains de souche pour la protection des élites politiques et militaires ne pesaient guère face aux dizaines de milliers de « romains importés » arrachés de force aux « contrées barbares ». Les migrants des pays conquis devenaient des alliés possibles des envahisseurs.

De nos jours, l’augmentation des populations venues de la Méditerranée et de leurs descendants pratiquant la religion musulmane ne devrait être une surprise pour personne. La religion chrétienne ne cesse de reculer en Europe comme elle a fait reculer puis disparaitre en d’autres temps les pratiques religieuses de la Rome antique. Curieusement, retenons que ce n’est pas le nombre, ni la démographie qui furent à l’origine de la chute de l’empire romain, mais la faiblesse d’hommes qui n’avaient de pouvoir au final que sur leur domesticité. Ammien Marcellin, depuis les années 340, nous prédit l’avenir de l’Europe comme il l’a fait pour Rome.  Cet officier des armées romaines nous a brossé un tableau précis de notre situation, nous les centaines de millions d’européens couchés de peur devant quelques milliers de barbares, les nouveaux Huns, qui s’approchent de nos Cités, les terrorisent, angoissent leurs habitants ou les laissent indifférents de leur présence à nos frontières. « Je me figure l’étonnement d’un étranger en ne trouvant dans la Cité que manifestations, disputes et autres turpitudes semblables » – écrit-il. « Le noble corps du Sénat et des assemblées voient leurs splendeurs ternies par la légèreté dissolue de certains de ses membres qui se complaisent dans le vice et se livrent à toutes sortes d’égarements. Les uns mettent la gloire suprême dans l’élévation de leurs monuments et de leurs bâtiments ou dans la fastueuse recherche des meilleurs atours afin de briller en société. Je ne peindrai pas ses gouffres appelés banquets, ni les mille raffinements que la sensualité et le désir de paraitre y déploie. La marche est fermée par les énuques de tous âges, qui n’ayant d’homme que le nom, restent soumis aux cruelles mutilations des puissants. Qu’arrive-t-il ? Les philosophes et les professeurs d’éloquence ont cédé la place aux maitres chanteurs et aux vicieux bonimenteurs. On mure les bibliothèques comme les tombeaux de peur d’y trouver des vérités qui dérangent. »

Rome sanctuaire de toutes les vertus, centre d’attraction de l’univers n’est plus convoitée que par des Huns, des barbares portant la bannière d’un autre Dieu qui se préparent à passer nos frontières pendant que les cours et leurs mignons ne pensent qu’à s’amuser et à se disputer des places honorifiques. Nos villes sont les nouvelles proies des ambitieux conquérants qui veulent nos biens, nos femmes, détruire nos consciences et notre courage par la peur, la peur de présenter un visage de combattant, de résistant. Les barbares conquièrent Rome non par leur puissance mais par la faiblesse de ses hommes, de ses empereurs, de ses familles étouffées dans et par le confort. En 430, quelques 90 ans plus tard, le poète Claudien ne disait pas autre chose et nous écrivait à peu près ceci : « Regardez ces jeunes hommes arrogants devenir des vieillards usés par la débauche et qui ne connaissent d’autre triomphe que de tenir table éternellement. D’autres gloires que de varier des mets et des commentaires empoissonnés, n’ayant d’autre souci que de rester proche de l’or qui excitent leur appétit et de soulever le rire de leur maitre par une vaine saillie. Ils consomment avec une gourmandise insatiable tout ce qui peut venir des bornes de l’empire en trainant avec difficulté la soie qui les couvre. Les Huns peuvent menacer les murs de la ville : le théâtre restera-t-il debout, voilà la question qui les intéresse. Ces gens-là, n’admirent que les palais et n’ont que du mépris pour défendre leur propre nation, pour Rome. Mais donnez-leur à danser et vous verrez avec quelle grâce ils s’exécutent ! Beaucoup d’entre-eux gardent aux pieds l’empreinte des fers qu’ils ont porté un jour. Maintenant ils siègent parmi nos magistrats, ils rendent la loi ou la justice, frappe monnaie mais se couchent devant la force plutôt que de prendre l’épée pour défendre nos villes. Et les nouveaux prêtres vous y invitent : « Laissez là vos armes et vos fables. Votre Rome périra si Dieu le veut et s’il ne le veut pas elle restera debout. Dieu seul est votre rempart. Priez-le. Invoquez les saints et cela vaudra mieux que vos citadelles. Les murs de Jéricho étaient solides : ils ont croulé au premier son d’une trompette ».

La messe est dite. L’Europe évanescente est faible, ses chefs peureux et dispersés par leur ambition propre et d’abord soucieux de leur confort. Des murs, sans courage, ne servent pas à grand-chose. Dans 90 ans, Allah sera plus grand et nos femmes, comme nos hommes, seront ses serviteurs. Ainsi va le cycle de l’histoire des civilisations.

Inspiré des notes sur la chute de Rome (Max Gallo 2014)

 

Précédent

La Russie toujours attirée par le modèle Européen

Suivant

La Géorgie : une bavure politique d’envergure

A propos de l'auteur

Denys

Denis Ettighoffer, est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses nombreux livres sont autant de contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Le voilà lancé dans une aventure comme il les aime, être reconnu à la fois par son imagination (pas le plus dur !) mais aussi comme un bon artisan de l’écriture romancée ( et ça c’est pas gagné !)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Voir aussi