Notre époque est marquée par de nombreux et éphémères talents. Des musiciens intenses, des artistes volcaniques, des femmes et des hommes qui se perdent dans leur passion. Comment ne pas faire le parallèle avec un autre de ses artistes passionnés, buvant la vie jusqu’à l’épuisement : Mozart. Son destin hantait Armonie.
Toute la semaine Armonie avait ingurgité à dose massive l’histoire de Mozart. Ce qui l’avait mise de fort méchante humeur. Elle ne supportait pas l’idée d’apprendre que ce génie avait été malmené par les puissants de l’époque. Elle se passionnait pour la vie et l’œuvre de Mozart, reconnaissant en lui une indépendance d’esprit et de créativité qui la séduisait et la fascinait. Armonie découvrait qu’elle savait peu de choses de la vie de Mozart, dont elle jouait pourtant des pièces entières de mémoire. Elle prenait conscience des terribles contraintes qui avaient pesées sur les épaules de cet artiste exceptionnel. La vie de Mozart la fascinait, parce qu’elle comprenait les difficultés de l’artiste pour vivre de son art et d’ailleurs pour vivre tout court. Armonie prenait progressivement conscience du prix qu’avait payé Mozart pour laisser une empreinte musicale qui en faisait une star et une icône de la musique classique et moderne. Le destin de Mozart l’impressionnait.nLà où ses condisciples béaient d’admiration pour le talent de Mozart, Armonie, elle, découvrait la soumission des génies qui comme Mozart ou Vivaldi se tuaient à la tâche pour satisfaire leurs commanditaires.
A son époque son dirigeant le prince-archevêque de Salzbourg restait le seul vrai Commanditaire et le Protecteur des arts. Deux notions très importantes pour la famille Mozart. Commanditaire, car les princes-archevêques, qui veulent rivaliser avec les cours voisines de Vienne et de Munich, finançaient largement les musiques et les compositeurs contribuant à leur prestige, à la notoriété de leur ville ou de leur région. Au moment de la naissance de Mozart, en 1756, la musique liturgique de la cathédrale, comme celle de la plupart des autres grandes églises de Salzbourg, bénéficie donc de moyens exceptionnels. Protecteur, car les innovations musicales n’étaient pas toujours bien reçues et appréciées des autorités ecclésiastiques qui entendaient à ce que l’on bannit de leurs églises « tout genre de musique dans lequel se mêle quelque chose de lascif et d’impur, soit par le jeu de l’orgue, soit par le chant […] afin que la maison de Dieu puisse être dite et soit vraiment une maison de prière ». Armonie découvrait qu’il existait une véritable police cléricale supposée encadrer la composition et de l’exécution musicale.
Un état de fait qui révoltait le jeune Mozart qui va se heurter au prince-archevêque, Hieronymus von Colloredo, venu de Vienne. L’inimitié est totale. Colloredo tient à garder Mozart et sa famille sous sa dépendance pour la notoriété de sa ville et de sa charge mais aussi pour contenir ses imprudences vis-à-vis d’un clergé très sourcilleux de voir le profane polluer les chants et les musiques liturgiques. Le jeune compositeur ne l’entend pas ainsi qui veut plus de liberté au point que Colloredo, irrité des ambitions du jeune Mozart, le congédie et, par représailles, avec son père. Ces derniers vont en profiter pour voyager et se rendre une seconde fois, avec sa mère cette fois à la cour de Versailles, où Mozart, star maladroite et désagréable, trop imbus de lui-même, sera mal accueillit. On est bien loin de la tournée triomphale de son enfance à Schweitzingen, résidence d’été de l’électeur palatin Karl-Theodor ou encore à Francfort où Wolfgang Mozart, sept ans, et sa sœur Nanie, onze ans, font une démonstration magistrale de leur talent respectif. Armonie apprit par la même occasion que le jeune Mozart avait comme elle la capacité de reconnaître, sans la moindre erreur, tous les sons seuls ou en accords, exécutés sur un piano ou sur tout autre instrument imaginable.
Ce second voyage à Paris sera un échec. Mozart, toute honte bue, devra revenir se soumettre à Colloredo en prenant une charge d’organiste de la cour de Salzbourg. A la demande du prince-électeur Karl-Theodor il doit composer pour le prochain carnaval de Munich. Colloredo ne peut refuser la commande d’un prince voisin qui peut contribuer au prestige de la principauté de Salzbourg. Mozart part donc à Munich mais rapidement, Colloredo, ordonne à Mozart de le rejoindre à Vienne. Ce dernier fera tarder les choses afin d’assister à la sortie de son opéra Idoménée. Il est furieux de se retrouver une nouvelle fois réduit au rang de serviteur de l’archevêque qui entend que ses musiciens se produisent uniquement pour les réceptions qu’il donne dans la ville impériale. Mozart essaie, dans un premier temps de temporiser, mais quelques jours plus tard, au cours d’une vive altercation, Mozart annonce sa démission à Colloredo.
Armonie comprenait que Mozart ne supporta plus l’encadrement et les contraintes imposés à ses compositions par l’archevêque de Salzbourg. Aux envolées de ses opéras, celui-ci lui oppose leurs excès émotionnels en lui conseillant plus de sobriété. Une négation totale de ce que pouvait être la musique pour la jeune fille, révoltée alors que Mozart était passé maitre dans l’art de créer des émotions fortes grâce à ses compositions. Elle pensa à l’une de ses œuvres les plus bouleversantes, son Requiem In D minor dont on disait qu’il l’avait écrite pour sa propre mort. L’archevêque, n’en démordait pas, les pratiques liturgiques devaient être utiles à la soumission à l’esprit des sujets de Dieu et à ses représentants et partant à ceux l’État, en faisant des fidèles de bons sujets, conscients de leurs devoirs. Colloredo estimait que la musique, telle que la voyait Mozart, ressemblait trop à une « bouffonnerie légère » ou à un théâtre de « criailleries vide de sens ». Pour lui, le véritable danger menaçant le catholicisme n’était pas tant l’hérésie protestante que « l’indifférentisme » croissant, le naturalisme et l’athéisme larvé et les pompes qui en dénaturaient l’esprit. Pour cette raison, l’archevêque de Salzbourg limitait la place de la musique orchestrale à l’église. Mozart en souffre et s’en plaint auprès du Padre Martini, son ancien maître et ami de Bologne, dont il avait fait la connaissance lorsqu’il était allé tout jeune en Italie avec son père.
Pour répondre aux exigences l’archevêque de Salzbourg, Mozart applique les consignes données mais s’arrange pour conserver cependant la gaieté naïve des noëls salzbourgeois. Armonie découvrait que Mozart avait poursuivi des années durant une sorte de guérilla contre les directives de Colloredo en composant également des sonates, dites « all’epistola ». Afin de contourner les contraintes officielles, Mozart allait jusqu’à composer deux versions différentes de chacune des litanies. L’une pour les dévotions publiques, la seconde beaucoup plus libre à l’égard des prescriptions édictées par les autorités ecclésiastiques. Tout cela n’empêchera pas Mozart d’exprimer une émotion intense et douloureuse dans ses compositions à l’exemple de la Missa Solemnis. Plusieurs auteurs ont vu dans l’allure émouvante et tragique de son dernier requiem écrite à Salzbourg, en 1780 une sorte de provocation à l’encontre de Colloredo.