– J’entends brusquement dans mon portable la petite voix de mon neveu âgé de six ans qui nous a rattrapé pendant nos vacances heureuses au bord de la mer en Grèce. Nos vacances sont terminées sans être commencées. Brusquement toutes ces images de la guerre passée, Tchetchénie, Soukhoumi (capitale de l’Abkhasie), cris des blessés, bombardements des maisons des civils, feux, des trous à la place des maisons, brusquement, toutes ces atrocités sont revenues dans ma mémoire. Il y a quelques minutes, dans ce paradis grec, tout ça me semblait si lointain, dans mes rêves… Mais c’est la réalité… Le mot maudit « la guerre » résonne à nouveau, partout dans le monde – c’est douloureux et ce qui est encore plus douloureux, c’est que ce mot concerne ma vie, mes proches, ma famille. Les cibles des chars sont encore les femmes, les enfants, les vieillards, les rues, les maisons, tous ces lieux que je connais par cœur, où j’ai passé les moments les plus heureux de ma vie… A nouveau, nous entendons le mot « réfugiés », ce mot plein de douleur et d’amertume. J’entends encore ces expressions que je déteste de tout mon cœur : « zone de conflit ». De nouveau, je réponds à mes amis du monde entier : « Ne vous inquiétez pas, Dieu merci, les miens sont en vie ». Et je pense encore et encore : Comment vivre… après ?

Telle est l’ironie de la vie : mes premiers amis étaient ossètes et abkhazes. Nous étions tous étudiants à l’Université de Dniepropetrovsk (actuellement en Ukraine) et nous représentions pour les autres amis, un exemple idéal d’une « intégralité territoriale » – c’était le « groupe géorgien ». Les camarades nous adoraient et surtout nos histoires sur notre république – La Géorgie – où il y avait tout et surtout le sens de l’amitié et de l’amour ; cette hospitalité traditionnelle et l’envie de recevoir des amis. Nous avons terminé nos études, chacun est revenu chez soi, mais nous sommes restés amis. Mes amis abkhazes, Demona et Djonik se sont bagarrés chaque été afin de décider qui recevra le premier. Les hôtes de Tbilissi (capitale de la Géorgie) – c’est un cadeau, – disait Demona – et un honneur, ajoutait Djonik. Chaque fois, nous avons passé des moments inoubliables où l’amour et la fraternité occupaient les premières places…

Quand la guerre a éclaté à Soukhoumi, je les ai perdus pour toujours. Personne ne les remplacera ni me les fera revenir. Il m’est égal de savoir qui a donné l’ordre de faire exploser leurs maisons – qu’il soit maudit ! Chaque fois, quand nous étions reçus à Tskhinvali (capitale de l’Ossétie du Sud), chez une amie ossète, chaque fois nous étions entourés de l’amour et de l’hospitalité.
Après le coup d’Etat à Tbilissi, notre maison a brûlé et nous étions logés dans un hôtel. Nos amis ossètes étaient les premiers à nous envoyer les chefs d’œuvres culinaires pour nous « remonter notre moral ». Ce sont nos amis ossètes qui ont proposé leur hospitalité et leur maison. Nous avons toujours su que notre deuxième maison était à Tskhinvali, chez nos amis ossètes.

Ces deniers temps, nous voyons souvent les images atroces, les traces de la guerre : Tskhinvali meurtrie et détruite. Je commence à réaliser que j’ai perdu ma deuxième maison, que je n’ai plus rien. J’ai peur de penser à la famille de mon amie ossète – je n’ai aucune nouvelle d’eux ; il me reste à prier Dieu pour leur vie et pour la vie de mes proches. Car si je les perdais je ne survivrais pas. Tbilissi s’est transformé en un seul grand hôpital – ma nièce, médecin de profession, a oublié quand elle a été la dernière fois chez elle. Dans un petit village, à côté de Tbilissi, il y avait une base militaire. On parle de six mille soldats de réserve qui ont été envoyés à Tskhinvali pour, soi-disant, des entraînements. Personne n’est revenu.

Actuellement, ce village est occupé par les réfugiés. Mon neveu ne comprend pas pourquoi les enfants des réfugiés ne veulent pas jouer et s’amuser… Mais il a appris à se cacher dans les fosses et à crier « les bombes !!!! » ; et il pose tout le temps des questions dont ma sœur ne connaît pas la réponse…,Probablement, les politiques et les experts connaissent les réponses. Ils peuvent tout expliquer. Mais cela ne soulage pas ma douleur ni mon inquiétude, car ma patrie est coupée en morceaux ; elle ne sera plus jamais unie comme avant. Ma ville bien aimée, Tbilissi, où nous avons grandi, où nous nous sommes amusés, aimés, cette ville est « décorée » actuellement par les slogans : « Les occupants russes dehors !! ».

Ma douleur est trop forte quand mon oncle moscovite n’arrive plus à joindre par téléphone son frère ; mon papa a un malaise chaque fois qu’il regarde la télévision. Mon inquiétude est forte, car le président géorgien se trouve, soi-disant, dans un état de stress nerveux et le président russe parle « d’attaques contre les agresseurs ». Comment vivre… après ? Je suis intelligente ; j’ai beaucoup voyagé ; j’ai beaucoup lu ; j’ai vu presque le monde entier ; je sais plein de choses. Mais pour la première fois, je ne connais pas la réponse… Inga ABGAROVA

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A propos de l'auteur

Denys

Denis Ettighoffer, est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses nombreux livres sont autant de contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Le voilà lancé dans une aventure comme il les aime, être reconnu à la fois par son imagination (pas le plus dur !) mais aussi comme un bon artisan de l’écriture romancée ( et ça c’est pas gagné !)

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