Dans son livre, « Absolument dé-bor-dée [1]», Zoé Shepard (en réalité d’Aurélie Boullet) décrit l’agréable et inefficient écosystème d’une collectivité locale du Sud-Ouest sans doute assez semblable à celle où vous vivez. Il est agréable à lire mais à dire la vérité, je ne suis pas allé jusqu’au bout. De paresse mais aussi de fatigue, il m’est tombé des mains ! Beaucoup de fonctionnaires mais aussi beaucoup d’employés de grandes firmes peuvent faire des constats similaires à ceux de Zoé.

Rares sont ceux qui ont le courage de mettre cela sur la place publique. Les plus actifs, les jeunes arrivants (c’était le cas de Zoé) ruent dans les brancards, tentent, un temps, de souligner les aberrations existantes, de les corriger en faisant quelques tapages, puis la domestication fait lentement son œuvre. Des mois puis les années passant, tous et toutes s’arrangent de ce monde dénoncé à satiété par de nombreux auteurs dont Courteline qui savait lui aussi tremper sa plume là où cela faisait mal. Pour avoir réalisé de nombreuses missions un peu partout dans les collectivités territoriales et dans de grandes et moins grandes administrations, j’aurais sans doute pu amener à Zoé de la matière pour son livre. Ce dernier m’a rappelé mes exaspérations et surtout mon impuissance à apporter un réel remède à cette procrastination paresseuse rencontré un peu partout. Exaspération face à la lâcheté des responsables qui n’osent ni sanctionner ni récompenser. Exaspération devant l’incompétence due à la très mauvaise formation des personnels qui, pour tout dire, ne savent pas travailler, ce qui fait la fortune des sociétés de conseils et de services qui doublent les effectifs internes. Exaspération toujours face à l’incohérence de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique. Tous victimes et tous coupables pourrait-on affirmer. Victimes les usagers et les finances publiques. Coupables, les élus et les patrons des grandes administrations qui laissent leur maitrise intermédiaire se débrouiller sans outils, ni méthodes, ni directives. Résultats, une politique de la gestion comptable des ressources humaines plutôt qu’une approche par les professions, les métiers et surtout les services à rendre. Dans cette fonction publique laissée en déshérence, les petits arrangements entre amis sont monnaies courantes. L’économie grise y trouve son compte. Le fonctionnaire de la DDE prend un jour ou deux pour aller rendre quelques services monnayables comme conduire un bateau et ses passagers. Des professeurs s’arrangent du faible nombre d’heures de cours pour aller soutenir quelques élèves en difficultés. Des ouvriers des arsenaux commencent leur deuxième journée en fin d’après-midi. Des exemples comme ceux-là, nous en connaissons tous. C’est souvent la vie de province. C’est toujours la vie de la débrouille.

Lors de certaines de mes missions j’avais une vilaine manie. Une cigarette à la main, j’allais de bureau en bureau demander du feu à l’heure de l’embauche du matin et de l’après-midi. Je frappais, j’entrais. Puis je notais les bureaux inoccupés. Je recommençais une heure plus tard. Parfois, j’avais des surprises, comme ce ministère où je suis tombé sur un bureau transformé en cuisine kasher dont les odeurs ne semblaient pas déranger le chef de service. Il avait d’autres soucis comme de faire travailler ses troupes 35 heures là elles n’en faisaient que 32. A la fin de la semaine, je savais à quoi m’en tenir vis-à-vis de ceux des services qui se déclaraient débordés de travail. De tout cela qu’en dire au final ? Bravo Zoé. Lisez son livre un jour de bonne humeur. Et, si vous rencontrez quelques grand élus à l’occasion, merci de leur rappeler que dénoncer l’incompétence et la paresse sont des devoirs que l’on devrait encourager et récompenser. Son chef, qui a mise à pied Zoé, s’il avait été un manager confirmé et aguerri, l’aurait félicité pour son humour et son sens de l’observation. Cela lui aurait fait plaisir. Ensuite, il l’aurait nommé chef de service avec pour mission de porter remède aux dysfonctionnements constatés. Là, je pense que c’est elle qui aurait moins rigolé. L’honneur aurait été sauf, non ?

Vieux Delavieille

[1] https://www.babelio.com/livres/Shepard-Absolument-de-bor-dee-/174627

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A propos de l'auteur

Denys

Denis Ettighoffer, est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses nombreux livres sont autant de contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Le voilà lancé dans une aventure comme il les aime, être reconnu à la fois par son imagination (pas le plus dur !) mais aussi comme un bon artisan de l’écriture romancée ( et ça c’est pas gagné !)

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