Lorsque le 14 juillet 1789, le gouverneur De Launay, responsable de la prison de la Bastille, vint au devant des révolutionnaires, il était loin de se douter du sort qui lui serait réservé. Il faisait face à une populace avide de sang qui faisait de la vielle prison le symbole d’un pouvoir monarchique absolu. En fait la Bastille ne renfermait que sept prisonniers : quatre faussaires  et deux fous, Auguste Tavernier et de White ; un noble, criminel, enfermé à la demande de sa propre famille, le comte de Solages. La geste révolutionnaire transforma la prise de la Bastille et la mort du gouverneur, dont on promena la tête au bout d’une pique, en acte symbole de la fin de la tyrannie. Nous y revoilà.

On se croirait revenir en ces temps funestes où la populace était invitée au nom de la révolution salvatrice, à juger sans preuves, à condamner sans procès, à massacrer sans vergogne. La vindicte populaire est actuellement alimentée par une presse avide de tirages plus que de vérité, encouragée par la hargne d’adversaires politiques qui accusent sans vergognes sur de simples racontars que colportent des indics tapis dans l’ombre des procédures policières et judiciaires et jetées en pâture à la populace au journal de 20 heures. Partout désormais se lèvent une armée de juges autoproclamés.

Des juges qui utilisent le poids considérable de la rumeur et de la calomnie pour atteindre leurs adversaires, les gens d’ailleurs, de la haute ou simplement différent. Des hargneux fustigent sur la foi de rumeurs et transforment le soupçon en acte d’accusation. La société française se cherche en permanence des bastilles à prendre, des juifs à dénoncer, des « pédés » à bastonner, des « harceleurs » à jeter en prison, des « incestueux » à dénoncer, des curés à bruler, un jour des résistants, un autre des « collabos » : Qui dans une société française qui ne s’aime pas, n’a pas son souffre douleur !? Qui n’a pas son petit tribunal à alimenter ? Un riche que l’on peut tuer « puisqu’il est riche », un noir à refouler « puisqu’il pue », un élu à mettre au pilori « puisqu’il est pourri » … Dans les banlieues des jeunes gens sans morale s’habillent des arguments de leurs ainés irresponsables pour justifier maintenant de leurs propres dérapages. Tous pourris ! Pourquoi se gêner de dépouiller plus faible puisque les élus eux-mêmes s’accusent entre eux des pires turpitudes !?  Pourquoi se gêner d’accuser sans preuves ? Pourquoi hésiter à dénoncer et tuer socialement?

C’est à l’infini la cohorte des petites et des grandes haines ordinaires, de la jalousie, de l’envie, de l’égalitarisme hypocrite qui fait de notre pays une société de la défiance, de la crainte de l’autre qui pourrait avoir plus que soi… un pays où des syndicats peuvent impunément détourner des équipements de leurs entreprises, des fonds des comités d’entreprises, se procurer des avantages indus ou faire des grèves surprises, qui sont autant de crimes économiques contre le peuple de France, sans jamais ressentir la moindre honte. Les membres de cette société de la débrouille, pas toujours bien nette, s’arrogent le droit de devenir des juges, vite oublieux de leur complaisance coupable envers leur propre turpitude. Rien n’est plus impitoyable que ces petits juges de l’ombre, ces pistoleros anonymes adeptes du lynchage médiatique, ces journalistes qui confondent révélations et racontars… En chacun sommeille ce qui a fait de la France un pays historiquement unique : le seul pays qui n’a pu faire sa révolution qu’au prix du sang versé de ses adversaires présumés. Un massacre impitoyable, impardonnable ne l’oublions jamais. Ne recommençons pas !

 

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A propos de l'auteur

Denys

Denis Ettighoffer, est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses nombreux livres sont autant de contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Le voilà lancé dans une aventure comme il les aime, être reconnu à la fois par son imagination (pas le plus dur !) mais aussi comme un bon artisan de l’écriture romancée ( et ça c’est pas gagné !)

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