La Mafia Calabraise. En 1738, les habitants de la Calabre fuirent vers la Sicile pour y trouver de quoi ne pas mourir de faim. Ils arrivent pour piller les fermes, les troupeaux et les récoltes. Face à l’indifférence de leur roi, Don Carlos roi des Deux Siciles, les siciliens décident de s’organiser en milices d’auto-défense afin de se débarrasser une fois pour toute des « scacciapagliari ». Surnom de « coupeurs de paille » donné aux calabrais qui venaient couper le blé pendant la nuit. Dans les villages, les intendants du roi mettent sur pied une organisation pourchasse les calabrais sur tout le territoire et sans faire de quartier. Environ 14 000 calabrais, femmes et enfants furent massacrés grâce à ces expéditions de chasse. Dans les années suivantes, les intendants, livrés à eux même, allaient devenir le véritable pouvoir de la Sicile. Ils organisèrent un réseau d’hommes de confiance (les ziu ou les oncles) qui formera ce qui deviendra la base de la mafia sicilienne. D’abord un réseau d’arbitres qui imposait leurs lois – le respect de la morale même – et leurs directives à l’ensemble de la population et aux propriétaires terriens. En même temps, ils mirent au place un réseau de caches destinés mettre à l’abri une partie des récoltes contre les percepteurs du roi et les appétits des seigneurs de la région. Les habitants des villages furent invités à participer aux frais de cette organisation : le pizzu, la becquée, un très léger dédommagement. Ainsi la Mafia prélevait son dû pour protéger les villages. Bon gré, mal gré. En Sicile, même l’église paie l’impôt à la Cosa Nostra.  En refusant de payer le « pizzo » puis de faire travailler une entreprise du réseau, le père Miguel Pertini, nommé dans la banlieue de Palerme aggrava encore son cas. Il ne subit pas le sort de son prédécesseur, le père Pino Puglisi qui fut assassiné pour l’exemple, pour avoir tenté de résister à la mafia. Le sang de ce saint homme le protégea et aussi son silence sur les pressions qu’il subissait de la pieuvre. Les fondements de ce qui allait devenir la mafia sicilienne ou la « Cosa Nostra » était né à cause de l’avidité de quelques seigneurs propriétaires. La Ndrangheta nourrit de l’exemple de la Sicile n’a pas démarré sous des hospices aussi nobles. Très vite, elle est devenue la pieuvre qui allait jeter une chape de silence sur les horreurs et les violences faites à quiconque déplaisait. Si les siciliens tenaient un code moral très stricte en matière d’assassinats, les pontes de la mafia calabraise ne s’encombrent pas de ses détails. Le simple fait d’adresser la parole à une femme d’un capo sans en avoir l’autorisation pouvait signer votre acte de décès. La Ndrangheta tient d’une main de fer l’ensemble de ses affaires qui couvrent l’Europe, notamment en Allemagne, et ses filiales à l’international. Toujours par différence avec la Cosa Nostra qui est conduite par un petit groupe « d’oncles », la mafia calabraise est dirigée par un seul homme qui a tout pouvoir sur les clans. Il a été élu à l’occasion d’une réunion familiale, un deuil, un baptême ou encore une union entre familles. La force de la Ndrangheta tient, comme pour la Légion Rouge de notre livre, à la centralisation du pouvoir et au respect du silence. Avoir la langue trop agile peut valoir à l’intéressé au mieux une remontrance au pire de partir dans un fond marin les pieds dans le ciment. Sa puissance tient aussi à la terreur qu’elle fait subir aux calabrais qui paie par le sang le fait d’avoir simplement déplu. Alors la région se vide de ses enfants qui partent loin ou à l’étranger et la pieuvre suit en s’implantant dans la Nord de l’Italie mais aussi partout dans le monde. L’importance de son implantation se révèle à certaines occasions comme en 2007.  A Duisbourg, dans l’ouest de l’Allemagne, six jeunes d’origine calabraise tombent sous les balles. Les policiers allemands réalisent que les clans calabrais viennent jusqu’à chez eux pour régler leurs différends. Celui des Nirta-Strangio vient de porter un coup mortel au clan des Vittori-Pelle. Une vendetta commencée des lustres plus tôt avec l’assassinat d’une femme du chef du clan Nirta. Le grand public apprend ainsi que la Ndrangheta tient un discret réseau de pizzérias en Allemagne qu’il a été longtemps impossible de toucher car la législation allemande ne permet pas de confisquer les biens des mafiosi. Mis en sommeil pour l’immédiat, il reste le relais du trafic européen de coke avec qui les Albanais font des affaires pour la drogue venue par les pays de l’est.Petit à petit, grâce à une fortune de plusieurs milliards de dollars, l’organisation a infiltrée la plupart des institutions et prospérée dans les transports, l’immobilier ce qui en fait sans doute au travers de prête-nom, l’une des mafias les plus riches du monde. Le « cancer » de la mafia calabraise ronge aussi la France. Pour la journaliste Chiara Carenini, les mafieux calabrais sont une véritable plaie pour la France, une menace qui ne doit pas être sous-estimée par les autorités. Toute la région PACA est aujourd’hui infiltrée par la mafia italienne. À Toulon, Nice, Cannes, Marseille, le Midi n’est plus seulement une terre de blanchiment, mais un territoire où les clans développent leurs activités traditionnelles en « joint-venture » avec les truands français, tout en restant eux-mêmes dans l’ombre. Giovanni Falcone avait lui-même bien avant son assassinat alerté l’opinion européenne sur les dangers que représentait pour l’Italie et pour l’Europe l’expansion mafieuse, sa volonté de s’insérer dans l’économie saine. Le magistrat parlait alors du « troisième niveau de la mafia », une notion toute théorique pour les autorités françaises. Chiara Carenini ne dit pas autre chose : « La ’Ndrangheta est un cancer dont on doit se libérer, c’est un réel problème. Sous-évaluer le phénomène mafieux est une erreur que l’Italie a faite par le passé. Pour la France ce serait une erreur gravissime, car l’économie souterraine qu’est capable de gérer la ’Ndrangheta est susceptible de pervertir le marché. Elle peut provoquer de graves dommages à la société civile. La France est un grand pays, elle a une grande histoire de liberté. Mais si elle ne se libère pas rapidement de ce cancer elle peut avoir de gros problèmes comme nous en avons rencontré nous-mêmes. » Mobilisez-vous contre la mafia. En France, ce type de mise en garde semble se heurter au mur de l’indifférence. Schengen oblige, il n’existe plus de frontière véritablement contrôlée entre la France et l’Italie. Les organisations criminelles ont compris le profit qu’elles pouvaient tirer de cette zone de libre-échange. La France toute proche est plus perméable à ces influences malsaines. De Vintimille à Menton, il n’y a que quelques mètres de bitume. Aujourd’hui ils ne sont surveillés que pour bloquer le flux des migrants qui se massent aux portes du pays. Les mafieux, eux, passent allègrement de l’autre côté pour régler leurs affaires. Le secteur de Menton-Vintimille est le point de passage obligé, largement investi par les Calabrais de part et d’autre de la frontière.Pour Chiara Carenini, des familles très puissantes ont en main sur le sol français la gestion d’activités criminelles diverses. Elle évoque le trafic de drogue, le racket, le contrôle de marchés publics et, le fait est peu médiatisé, le trafic de migrants. La journaliste évoque ainsi des réseaux de passeurs qui se chargent moyennant finances de faire transiter des colonnes de réfugiés par les sentiers alpins pour contourner les contrôles de la zone de Menton. Cette spécialiste opère une distinction entre ces réseaux et l’organisation de la ’Ndrangheta en Calabre. Qu’il s’agisse de la Ligurie, de la Côte d’Azur ou de Marseille, il n’est pas question de se livrer ouvertement à des règlements de comptes contre les clans rivaux : « En France et en Ligurie les locale s’occupent exclusivement des affaires. Et pour y parvenir les ’ndranghetistes ont établi une sorte d’équilibre. Pas une paix mafieuse au sens strict, mais un équilibre. » Les comptes, s’ils doivent se régler, se régleront en Calabre. Tout ce qui touche aux opérations extérieures fait en quelque sorte l’objet d’une paix négociée pour le plus grand bien de leurs affaires. Extrait de « Riviera Nostra : L’emprise des mafias italiennes sur la Côte d’Azur » de Jean-Michel Verne, aux Editions Nouveau Monde Read more at http://www.atlantico.fr/decryptage/mafia-calabraise-discret-cancer-qui-ronge-france-jean-michel-verne-3090085.html#C5oc3Fh1Gz5TASm1.99

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A propos de l'auteur

Denys

Denis Ettighoffer, est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses nombreux livres sont autant de contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Le voilà lancé dans une aventure comme il les aime, être reconnu à la fois par son imagination (pas le plus dur !) mais aussi comme un bon artisan de l’écriture romancée ( et ça c’est pas gagné !)

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