On se croirait revenir en ces temps funestes où la populace était invitée au nom d’une Révolution soi-disant salvatrice, à juger sans preuves, à condamner sans procès, à massacrer sans vergogne.

La vindicte populaire s’alimente d’une presse avide de tirages plus que de vérité. Des indics tapis dans l’ombre des procédures policières et judiciaires colportent des informations non vérifiées jetées en pâture à la populace au journal de 20 heures. Des hargneux bavards fustigent sur la foi de rumeurs et transforment le soupçon en acte d’accusation. Notre société se cherche en permanence des Bastilles à prendre, des juifs à dénoncer, des « pédés » à bastonner, des « harceleurs » à jeter en prison, des « incestueux » à dénoncer, des curés à bruler, un jour des résistants, un autre des « collabos ». Qui, dans une société qui ne s’aime pas, n’a pas son souffre-douleur !? Qui n’a pas son petit tribunal à alimenter ? Un riche que l’on peut voler « puisqu’il est riche », un noir à refouler « puisqu’il pue », un élu à mettre au pilori « puisqu’il est pourri ». Un peu partout des jeunes gens sans morale s’habillent des arguments de leurs ainés irresponsables pour justifier maintenant leurs propres dérapages.

Un jour, j’ai cessé de vouloir me battre dans une société de bavards qui parlaient creux ou pour ne rien dire, sinon du mal. Les taiseux de mon enfance ont disparu au bénéfice d’une engeance à l’origine d’une pollution toxique. Les followers se gagnent en se faisant liker grâce à toutes les bassesses possibles afin de gagner des places dans l’art d’influencer la populace. Hier isolé, aujourd’hui multiplié par les réseaux sociaux, voilà l’influenceur ou le « corbeau » qui nous gavent. Que pouvais-je faire ? Lorsque je « disais » un mot, ils me sortaient une thèse !  Ils ne supportaient plus le silence et, lorsqu’ils n’avaient personne à  souler de mots, ils se branchaient sur les réseaux pour se faire souler à leur tour. Je me disais qu’au fond, après la malbouffe, c’était presque normal de les voir, ces bavards compulsifs, enregistrer n’importe quoi et, le plus souvent, sans aucun sens critique. Jamais la réflexion d’un journaliste sur « le remplissage des cerveaux » n’a été aussi vraie. Gavés, les hommes terminaux qui nomadisent sur la Toile ne savent pas qu’ils sont stochastiques, soumis aux seules sensations émotives de l’immédiateté. Girouettes incapables de différencier correctement le passé, le présent, l’avenir : tout est présent. « No futur » peuvent-ils chanter avec raison.

La puissance du verbe, la liberté de pouvoir s’exprimer avec talent n’était plus le fait d’une élite lettrée mais d’une plèbe de barbares. Les mots sont devenus des armes. Le poète comme le chanteur exercent au péril de leur vie face aux vitupérations de haine, aux harcèlements des ignares qui emplissent nos écoles et nos immeubles. Peu de mots, idées courtes et avis sur tout ! Voilà l’avenir de l’humanité pris en mains par de gens qui ne cessent de mélanger mensonges, fariboles et vérités en un brouet inintelligible. Voilà aussi pourquoi vous vous retrouverez peut-être un jour dans cette foule influençable sans le désirer vraiment. Alors taisez-vous, lisez « L’homme qui a perdu les mots » et devenez un « écoutant » !

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A propos de l'auteur

Denys

Denis Ettighoffer, est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses nombreux livres sont autant de contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Le voilà lancé dans une aventure comme il les aime, être reconnu à la fois par son imagination (pas le plus dur !) mais aussi comme un bon artisan de l’écriture romancée ( et ça c’est pas gagné !)

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