Enregistrement de l’émission « La musique pour tous » du 5 décembre 2022 sur Europe Trois. En France, nombre de critiques ou d’auditeurs traditionalistes sont décontenancés par la liberté que s’octroie Arianna Bolhmen dans l’interprétation des grands compositeurs. Sa contestation radicale des mœurs musicales est à l’origine de nombreuses polémiques dont apparemment elle – impériale toujours – ne tient aucun compte. Nous l’avons reçu pour en parler sans langue de bois.

— Arianna, vous êtes connue pour la grande originalité de vos interprétations qui, il faut bien le dire, ne plaisent pas à tous. Pourquoi cette relation particulière que vous pouvez avoir avec une œuvre, une composition que vous maltraitez ?

Arianna Bolhmen — Maltraiter ? Vous y allez un peu fort, non ? Pour moi, il y a une relation quasi filiale avec un compositeur : je me mets dans les pas du maitre et je tire de son œuvre ce qui me parait être l’interprétation correspondant à ma sensibilité propre. Je me sens comme une enfant qui s’appuie sur le savoir et l’imaginaire de mon ainé pour réinventer et mettre au goût du jour ce que j’apprends de lui. Je ne joue jamais le même morceau de la même manière. J’aurais l’impression d’ânonner.

Ânonner ! Pourquoi dites-vous cela ?

— Je n’aime pas jouer et rejouer à la note près en respectant une composition qui parfois n’est pas sans défaut. Pour moi, une partition, c’est un peu comme un bel ouvrage que je voudrais honorer en lui apportant des éléments de décoration supplémentaires, où visiteur d’un jour, je me sentirais obligé d’apporter un cadeau pour contribuer à l’embellir. Beaucoup d’interprètes font de même. Les fanas des grands classiques savent reconnaitre leur patte personnelle en les écoutant.  Par exemple, faite l’expérience d’écouter la sonate opus 109 de Beethoven exécutée au piano par différents interprètes y compris les plus prestigieux, les plus connus. Aujourd’hui c’est possible en allant sur Internet. Si vous avez un peu d’oreille vous n’aurez pas de mal à y trouver « une façon » chaque fois très personnelle de la jouer. Mieux encore, vous découvrirez que vous préfèrerez une interprétation à une autre. Comment condamner alors des interprètes modernes, contemporains, qui vont encore plus loin en utilisant le matériau proposé par nos anciens pour réinventer leur musique avec des instruments et des possibilités techniques qui n’existaient pas au siècle dernier.

Pourtant vous ne pouvez ignorer que beaucoup d’interprètes ne prennent pas ce risque. N’avez-vous pas la crainte de vous fermer les portes des salles de concert traditionnelles ?

—  Honnêtement, cela ne me dérange pas. En tant que musicienne libre de mes choix en quoi dois-je m’excuser de broder sur une œuvre archi connue, jouée à ma façon !? Regardez l’évolution d’un grand pianiste comme Glenn Gould.

— Que voulez-vous dire ?

— Glenn Gould, est un être compliqué amoureux de musique simple, épurée où chaque note devient un régal. Glenn était un gourmet du jeu pianistique. Un pianiste étonnamment introverti qui sentait son public comme constitué de juges plutôt que d’amoureux de son style. Un homme brillant qui s’est fabriqué un discours pour justifier son horreur des représentations publiques au bénéfice de la diffusion radiophonique et des enregistrements. Pour ma part, la rencontre avec un public, quel qu’il soit, m’a toujours comblée de bonheur. Nous partageons quelque chose, une émotion, souvent difficile à exprimer autrement. Les notes alors remplissent le silence afin de créer une émotion partagée. Je regrette que Gould n’ait pas su le comprendre.

Certains de nos auditeurs vous accuse d’être incapable de créer une œuvre originale, de vivre du plagiat de compositeurs connus.

— Dois-je le rappeler ? Ces œuvres que je réinvente ou que j’assassine, si j’en crois mes détracteurs, sont des réinventions originales -je dis bien originales – de musiques tombées dans le domaine public. Après tout n’est-ce pas ce que l’on a fait avec de nombreux films et dessins animés qui ont revisité avec succès les grands classiques, les contes et les grandes légendes antiques. Pourquoi ne ferions-nous pas de même avec les plus belles musiques que nos anciens nous proposent, pour les embellir selon les critères de notre époque. D’autres comme moi, imitent et jouent à la façon de… des propositions très personnelles. Composer et jouer à la manière de… , le mélanger au vrai sans que personne ne voit la supercherie, est la plus belle des démonstrations que la musique peut rester intemporelle et se suffire à elle-même sans passer par la case « enchères ». Je veux dire sans qu’il soit nécessaire de vouloir donner plus de prix à l’original qu’à la copie.  Écoutez. Arianna se déplace vers le piano mis à sa disposition dans le studio. Elle se met à jouer une pièce du russe Michael Glinka.

— Alors, où avez-vous perçu que je modifiais le morceau que vous venez d’écouter ? Applaudissements. Elle rit, ravie de sa démonstration, mais Arianna Bolhmen n’en a pas fini avec nous. Connaissez-vous les variations d’Alkan, le festin d’Esope joué par Jack Gibbons ? Et Arianna d’attaquer sans attendre notre réponse. Ses doigts voltigent sur le clavier. C’est à la fois merveilleux et odieux ! Cette virtuose fait ce qu’elle veut des sons, de la musique.

Là on est un peu dépassé par la fougue d’Arianna Bolhmen. A la fin de l’émission, notre régisseur nous informera que le standard a été saturé par des « pas contents » et des « émerveillés » ! Voila qui résume bien le portrait de cette pianiste atypique, n’en doutons plus.

 

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A propos de l'auteur

Denys

Denis Ettighoffer, est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses nombreux livres sont autant de contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Le voilà lancé dans une aventure comme il les aime, être reconnu à la fois par son imagination (pas le plus dur !) mais aussi comme un bon artisan de l’écriture romancée ( et ça c’est pas gagné !)

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