Utilisés à mauvais escient, les mots deviennent une menace d’autant plus pernicieuse qu’ils s’adressent à des publics ne disposant pas toujours d’un bagage culturel suffisant pour ne pas se laisser impressionner ni manipuler par des « fake news » ou des informations volontairement biaisées. La langue perverse est aussi reconnaissable lorsqu’elle porte un message insupportable : la haine et la peur de l’autre. Les troubles ayant affecté les dernières élections américaines ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend. Différemment certains médias et commentateurs tendent à décupler l’émotion en choisissant volontairement des termes outranciers. Faire de la mousse médiatique en utilisant des mots assassins fait partie du paysage de la classe bavarde… on s’en arrange. Mais bien des bonnes gens les prennent au pied de la lettre – si j’ose dire – ce qui nous donne du « tous pourris » qui va bien avec cette presse de caniveau qui ne tente plus de nous informer mais de nous convaincre.  Qui croire me répondra-t-on ? Retenez bien ces quatre mots : « Ils n’avaient qu’à savoir ». Le bon sens et la maitrise des artifices du langage nous oblige à « savoir » les mots, c’est-à-dire avoir la connaissance. Je ne suis pas près d’oublier la confidence d’un ancien procureur pour qui le choix d’un mot ou d’une locution particulière, d’un article de loi plutôt qu’un autre, pouvait faire passer un justiciable de la correctionnelle aux assisses. J’en ai encore des frissons. On fait dire aux mots ce que l’on veut obtenir de nos pairs ! Comprenez : « Celui qui est maitre des mots est maitre du monde ».

Malheureusement, cette censure insidieuse est encore loin d’interdire aux journalistes des termes ayant peu de relations avec le contenu réel de leur papier. Il faut vendre, donc on manipule les mots pour aguicher le passant dans les kiosques à journaux. On truque un peu beaucoup, ouvertement, uniquement guidé par la question « Ce gus que je malmène, a-t-il les moyens de nous faire un procès ? Ou alors, si j’ai un procès, sera-t-il plus coûteux que le revenu tiré de l’augmentation de mes ventes ? Sommes-nous vraiment plus bêtes que nos aïeux ?

Ainsi en a-t-il été dans les guerres coloniales. L’inculte devenait de la chair à canon, esclave d’une modernité qui le dépassait alors que la justice aveugle ne restait jamais sourde à l’égard des puissants, les jongleurs du verbe. Ce n’est un secret pour personne, les malhonnêtes ont souvent raison face à l’homme pauvre en mots. Persuasifs, ils mettent la justice de leur côté et font de lui le fautif, l’agresseur. Pourtant ce dernier était en droit de s’indigner, de se mettre en colère mais, avec si peu de mots il était incapable d’expliquer qu’il était, une fois de plus, une victime. Souvent pauvres tout court, ce sont des gens vulnérables… Ils ne connaissent pas les mots permettant d’obtenir une attention bienveillante. Pour des millions de citoyens, le manque de mots – d’éléments de langage appropriés – constitue les premiers pièges d’une démocratie. Si plus personne ne se comprend et ne s’écoute, si par effet de dominos le QI d’une nation se réduit à quelques mots indispensables, elle s’effondrera sur elle-même. Une sorte de conjuration des ignorants aura pris le pouvoir par la violence. Les mots sont une richesse. Les abandonner, nous appauvrit. Pas de mots… pas de voix 

Hier l’angoisse nous venait des risques de devoir faire face à des animaux sauvages, à des prédateurs humains. Aujourd’hui, elle vient de crainte de nous faire tromper, de nous faire abuser par des mots trop charmeurs. Par manque de confiance nous doutons. Hier nous apprenions. Aujourd’hui, nous doutons de ce que l’on nous apprend. Sommes-nous donc voués à l’indigestion des mots, à la torture des choix qui se multiplient, à la recherche du sens caché des intentions exprimées ? Devra-t-on interdire tout ce qui est plaisir sous prétexte que cela cache de risques ? Allons-nous nous isoler, par peur de rencontrer une tentation, de faire une erreur, de causer tort à autrui ? Allons-nous, au milieu de ces foules, rester solitaire par peur de l’autre ? Quand les citoyens se croient à l’abri des lois et les discours politiques leurs paraissent ennuyeux. Ils ne sont même plus des écoutants. Il n’est pas difficile de deviner la suite. Les évolutions de la démographie et le manque d’éducation des peuples donnera de plus en plus de poids à la démagogie populiste qui chassera les mandarins au bénéfice des tenants du petit livre rouge, version 21eme siècle. https://actulivres.com/lhomme-qui-perdait-les-mots-quand-le-silence-en-dit-plus-que-les-mots/

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A propos de l'auteur

Denys

Denis Ettighoffer, est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses nombreux livres sont autant de contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Le voilà lancé dans une aventure comme il les aime, être reconnu à la fois par son imagination (pas le plus dur !) mais aussi comme un bon artisan de l’écriture romancée ( et ça c’est pas gagné !)

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