Découvrez le premier épisode de la seconde saison de la Saga Armonie: La chance était avec Simon, il avait pu embarquer dans un camion jusqu’à Sverdlovsk. La chance aussi d’arriver vivant. Visiblement, son conducteur consommait plus de vodka que son camion ne consommait d’essence. Mais il gardait le camion sur la route, c’est tout ce que Simon pouvait souhaiter. Dehors, il faisait froid, très froid. Ce qui fit qu’il accepta de partager l’affreuse gniole du chauffeur. A l’arrivée, il avait gagné des kilomètres et un tenace mal de tête.

L’idée était de passer les postes frontières entre Sverdlovsk en Ukraine et Gukovo en Russie, un périple périlleux de 26 kilomètres. A la ville frontière de Sverdlov’s, Simon avait fait la connaissance de son compagnon de voyage, un civil russe, ex volontaire du front contre les Ukrainiens, qui disait rentrer chez lui. Ils s’étaient rencontrés dans une gargote où Simon avait pu s’offrir un ragoût trop salé mais réconfortant. Lorsqu’il avait demandé son chemin au taulier, un des clients s’était proposé de le conduire.

Ils marchaient maintenant tous les deux sur la route vers la frontière russe. Passer outre n’était pas envisageable. Le reste de la région était infesté de mines anti-personnel. L’homme lui avait dit être un frontalier de la région. Ils formaient un drôle d’attelage. Le civil, un maigrichon au visage mangé par une barbe broussailleuse, portait un uniforme militaire dépareillé sans insigne, Simon, un vieux costume assorti d’un manteau qui le protégeait mal du froid. Il les avait récupérés dans les ruines d’une maison visitée quelques jours avant sa fuite du front. Une vieille valise quasiment vide tentait d’accréditer son allure de voyageur. Il s’était préparé à un questionnaire sommaire en comptant faire état de son statut de réfugié de la ville de Tskhinvali, en Ossétie du Sud sous protectorat russe, venu visiter une amie en territoire occupé par les pro-russes.

Le ciel était plombé à perte de vue. Les couleurs semblaient avoir déserté la région. Une odeur douçâtre indéfinissable accompagnait les deux voyageurs. La ville autour d’eux n’était qu’un monceau de ruines, de magasins et de restaurants éventrés. Les rues étaient désertes en dehors de quelques véhicules militaires qui passaient à toute allure vers on ne sait quelle destination. Le vent glacial qui nettoyait les rues accentuait encore la sensation d’une ville abandonnée.

Simon prenait conscience qu’il courait de gros risques en retournant en Géorgie. Sur la E58, il avait passé la ville de Novoazovsk pour se diriger vers Maksimov en Russie. Il avait vite réalisé qu’il ne pourrait pas repartir par la Crimée pour tenter une traversée par la mer d’Azov vers la Géorgie. Ne restait que la solution de passer par le sud de la Russie afin de tenter de rejoindre son pays natal. Sa maitrise du russe l’avait bien aidé jusqu’à maintenant, allait-il pouvoir franchir la ligne de démarcation ? Il avait pris la précaution de jeter tous les papiers au nom de sa mère qui avaient servi pour son contrat d’engagement. Il voyageait maintenant sous son nom de famille, le nom russe de son père, Tchekhov. Il avait raconté à son camarade de galère qu’il était pianiste afin d’éviter toute autre question indiscrète. Mais il n’en dit pas plus. Ici les motivations des uns ou des autres restent cachées. Simon Tchekhov comptait rester discret sur son périple, tout comme son compagnon qui le quitta sur un bref salut à leur arrivée au poste frontière.

Il s’étonna de voir à quel point celui-ci était encombré de véhicules et de voitures sans compter une cohorte bigarrée de soldats, de familles et d’individus apparemment aussi crasseux que lui ce qui, paradoxalement, le rassura. Malgré la longue attente, la sortie du territoire côté ukrainien ne lui posa pas de problème. Deux miliciens armés faisaient office de gardes-frontières et semblaient s’ennuyer. Mal fagotés, en treillis couverts de boue, ils étaient surtout occcupés à faire fonctionner un brasero sensé les aider à supporter le froid. Derrière eux, un passage étroit encadré par des pneus et des sacs de sable menait vers le territoire russe. Sur le bord du chemin ainsi délimité, un véhicule blindé était supposé décourager toute tentative de passage en force. Au poste russe une petite centaine de mètres plus loin, deux gardes-frontières faisaient stopper indifféremment un camion ou une voiture, apparemment un peu au hasard. Une fois encore des miliciens à la nationalité incertaine se tenaient là afin de les fouiller.

— On est là pour donner un coup de main, explique l’un d’eux, affable et visiblement à moitié ivre. C’est lui le patron, indique-t-il encore en désignant un militaire russe qui fait semblant de l’ignorer. Les véhicules passent au compte-goutte. L’attente est interminable.

— Elle peut durer une journée, ronchonne son chauffeur, un Tartare nommé Ivan, qui a accepté de prendre Simon et qui tente lui aussi le retour vers le territoire russe,

Devant eux, tout à coup, Simon découvre le civil, qui venait de le quitter, en grande discussion avec les gardes-frontières. Visiblement, ce dernier a pu passer plus vite que lui. Il lui faut quelques secondes pour comprendre qu’il est tombé sur un de ces sales types qui fliquent les déserteurs toujours nombreux dans l’armée russe. Son cœur se serre. L’homme montre quelque chose dans sa direction. Sans plus d’explication, sur un bref merci, il sort précipitamment de la cabine pour se cacher derrière le camion d’Ivan. Dans la file, le chauffeur du camion qui suit l’a vu joue de l’avertisseur pour le déloger. Le klaxon alerte les gardes qui se précipitent aux nouvelles. Simon n’a que le temps de cracher de frustration sur le pare-brise du chauffeur avant d’être saisi rudement par deux des militaires faisant office de douaniers.

Bloqué des heures durant dans un poste tenant plus du frigo que d’une prison militaire, débarrassé de son maigre bagage, Simon réalise la folie de sa désertion.  C’est dans une relative indifférence que ses gardiens le font monter dans un vieux camion militaire Zil. Utilisés comme transport de troupes, certains fonctionnent au gaz, d’autres au diesel. Il était fermé, heureusement. Le froid mordait cruellement tous les passagers, y compris les jeunes soldats russes qui accompagnaient les détenus.

Simon était certainement le plus jeune. Attaché par une chaine à ses compagnons d’infortune, le voyage fut très inconfortable. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’en cas d’accident, aucun des prisonniers n’aurait la moindre chance de s’en sortir. Tous ou presque restaient silencieux. Un seul semblait sous l’emprise d’une drogue quelconque et ne cessait de hurler des insultes et des insanités destinées visiblement à des personnages imaginaires. Le fait de prendre un méchant coup de crosse de la part d’un gardien excédé par son tapage n’y changea pas grand-chose. Mais le bonhomme, visiblement dérangé, baissa d’un ton. Le voyage, dont ils ne virent rien, lui parut une éternité.

Ils venaient d’arriver à la gare de Gukovo d’où un train devait les amener à Moscou toujours suivis par leurs gardiens bizarrement de joyeuse humeur. Simon comprit que leur mission allait leur permettre d’aller voir leur famille, ce qui les rendait presque aimables. L’un d’entre-eux en l’accompagnant aux toilettes alla jusqu’à lui proposer une cigarette. Simon qui ne fumait pas, accepta, il savait depuis son passage au front russo-ukrainien qu’elle pouvait lui servir pour du troc. Le voyage en train, pénible et inconfortable, dura un jour et une nuit. Une éternité. Le wagon était mal chauffé. Simon apprit qu’il était le seul prisonnier accusé de désertion, les autres étaient des droit commun accusés de vols et de meurtres pour deux d’entre-eux.

Pourtant ce fut lui, le déserteur, qui devint la bête noire des autres détenus. Les gardiens, peut-être sensibles à son jeune âge, décidèrent de le changer de compartiment après avoir viré une famille installée là pour que cessent les brimades. Il put y sommeiller quelques heures sans crainte, épuisé de stress et de fatigue. Il réalisait, la peur au ventre, les terribles conséquences de son erreur. Les autres prisonniers lui avaient promis qu’il serait pendu ou fusillé, la désertion en temps de guerre étant un crime majeur. Il n’avait rien mangé depuis plus d’une journée et pourtant la maigre pitance proposée par les gardiens qui se l’étaient procurée auprès d’une prodvonista qui faisait office de chef du wagon, ne passait pas. Ils arrivèrent à l’aube à la gare de Kievsky d’où un fourgon cellulaire les amena à la Petite Loubianka abritant les bureaux de la police politique et une prison dont heureusement Simon ne connaissait pas la sinistre réputation.  Après un bref passage devant un gardien chef qui semblait s’ennuyer à mourir, les détenus furent séparés.

Le lendemain, face aux policiers venus l’interroger, le jeune homme n’avait pas résisté bien longtemps. La menace d’être accusé d’espionnage au profit d’une puissance étrangère, c’est-à-dire la prison à vie, l’avait décidé à manger le morceau. A partir de là, la police n’avait pas eu de mal à retrouver son unité combattante où le colonel russe Damir Izoumiov, très remonté contre sa défection, ne fit rien pour arranger son affaire.

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Petrior Mikhaïlovitch, le directeur de la prison de Dimitrovgrad lisait la condamnation du prévenu enchainé tremblant de froid face à lui. Mikhaïlovitch avait une tête trop grosse pour un corps qui ne connaissait plus le sport depuis longtemps. Pour compenser sa disgrâce physique, le directeur du pénitencier de Dimitrovgrad était toujours tiré à quatre épingles. Des épaules étroites, des mains fines aux ongles manucurés, des cheveux noirs soigneusement coiffés, la mine impassible et un regard qui donnait l’impression au détenu, debout et chancelant de fatigue, qu’il était invisible.

Mikhaïlovitch était un fonctionnaire zélé, ni plus cruel, ni meilleur que bien de ses homologues. Ce à quoi il tenait par-dessus tout, c’était à préserver sa réputation de terreur dans le petit monde des détenus dont il façonnait le destin. Il n’oubliait jamais qu’au milieu des vrais ou des pseudo-innocents, des prisonniers politiques, une majorité de ses pensionnaires étaient des fauves enragés, capables de toutes les exactions. La règle était donc simple, tout individu envoyé dans son établissement devait plier, plier jusqu’à terre, être maté jusqu’à la soumission totale.

Mais il avait une autre raison justifiant cette politique de la terreur destinée à rendre muets les plus courageux : Il faisait travailler les prisonniers pour sa petite entreprise qui allait en faire un homme riche. Ses ateliers, installés dans les murs même de la prison, tournaient à plein régime. On y fabriquait des composants électroniques pour la défense nationale. Des circuits qui allaient servir pour les radars et encore plus étonnant pour les micro-ondes des ménagères russes. Ceux qui travaillaient bien, s’ils n’étaient pas payés, voyaient les mauvais traitements diminuer voire disparaître. Mais à la moindre incartade, à la moindre résistance ou révolte, ils retournaient en enfer.

Voilà pourquoi Petrior Mikhaïlovitch tordait du nez de satisfaction, apparemment son jeune « invité » était un étranger, un maudit géorgien qui n’avait à priori ni protecteur, ni famille qui aurait pu lui envoyer un peu d’argent. Son avocat commis d’office s’était bien battu. Simon risquait la mort pour avoir déserté. Le jeune homme n’avait pris que huit ans. L’avocat ayant fait valoir que son engagement ne pouvait être validé car il n’avait pas les 18 ans règlementaires. Mais Simon ne pouvait pas avoir plus de chance. La juge du tribunal de Moscou avait accepté de sauver la tête de l’adolescent et transformé l’acte d’accusation en « usurpation d’identité en vue d’actes hooliganisme ». On n’échappait jamais à la juge Maria Solokhov, qui allait recevoir 500 roubles de récompense pour avoir permis à Mikhaïlovitch de consolider son contingent de travailleurs sans droits ni solde.

Maria Solokhov n’était pas un cas exceptionnel. La prévarication de la justice russe est si importante qu’il suffit d’avoir un juge dans sa poche pour éliminer un concurrent : un entrepreneur russe sur six a déjà été poursuivi pour « crime économique », le plus souvent à la demande d’un oligarque prêt à payer le prix pour organiser de fausses condamnations. Pour sa part la police locale restait arrangeante pour des délits mineurs. Elle préférait se servir directement en se contentant le plus souvent de soumettre le délinquant primaire à un pot-de-vin de quelques centaines de roubles. Mais malheur à celui qui ne pouvait payer. Il était alors inculpé d’un chef d’accusation imaginaire pour aller alimenter le contingent des travailleurs de Petrior Mikhaïlovitch en contrepartie d’une belle enveloppe.

Sans protection ni argent, sans relation, Simon Tchekhov devenait une proie facile pour être envoyé dans le sinistre pénitencier de Dimitrovgrad, dans la région d’Oulianovsk, au sud-est de Moscou. Un enfer à quelques 13 heures de routes malaisées dont, lorsqu’on en sortait vivant, on restait marqué à vie. Les brutalités du personnel commençaient à être connues des médias sans que cela change quoi que ce soit à la condition des détenus. D’ailleurs les témoins restaient très rares, les prisonniers à problème n’ayant guère de chance de sortir un jour. Il suffisait que le tribunal interne à la prison s’arrange pour faire rajouter quelques années de détention sous un prétexte quelconque.

Simon n’avait pas échappé à la bastonnade qui accueillait tout nouveau détenu. Un tabassage sévère destiné à briser la volonté de celui qui aurait le désir de se révolter ou de protester contre l’arbitraire du monde dans lequel il allait vivre des années. D’instinct Simon avait compris que cela ne servait à rien de vouloir réprimer ses cris, les gardiens s’acharnant jusqu’à l’entendre demander grâce. Tout son corps n’était que douleur qui anesthésiait toute réaction.

La volonté de Simon se concentrait sur le désir de rester debout, de ne pas s’écrouler devant cet homme parfumé qui lui parlait sans le regarder. A Moscou, il avait écouté ses compagnons d’infortune lui parler de ce qu’étaient les réalités des prisons de l’empire du mal – c’était l’expression qu’ils avaient employée – des prisons de Poutine. Un de ses codétenus lui avait raconté, avant d’être subitement envoyé dans une autre cellule, qu’il avait été arrêté pour avoir manifesté contre la fermeture de « Perm-36 ». Un musée dédié aux victimes des goulags soviétiques qui fermait ses portes après des mois de pression croissante des responsables régionaux alors qu’en même temps le pouvoir ouvrait un musée consacré au camarade Staline présenté comme un « chef militaire, une figure hiératique du pays, voué à l’admiration des peuples.

Poutine se servait habilement de l’image positive que 52% des Russes avaient encore de Staline. Mais les Russes n’étaient pas dupes lui avait affirmé son compagnon de misère pour qui ce sondage était manifestement bidonné. Les familles n’oubliaient pas que des millions d’entre eux avaient été les victimes de la répression politique et des déplacements de masse que Staline avait orchestrés durant des décennies.  Mais ce n’était pas une bonne idée de vouloir le rappeler avait souri tristement son codétenu, un dénommé Stravinsky – comme le compositeur pensa Simon – dont une partie de la famille avait disparu dans des camps qui n’avaient pas d’existence officielle.

Lors de son séjour de deux longs mois dans la prison de la « Petite Loubianka » où il crut mourir de froid, Simon avait été dûment averti par d’autres prisonniers de passage de ce qui l’attendait. Les goulags russes sont supposés avoir disparu depuis 1991, mais ce n’est pas le cas des pratiques brutales et cruelles censées « rééduquer » les prisonniers. En Russie, comme dans bien d’autres pays, la prison n’est pas simplement un enfermement, c’est le lieu créé par des hommes pour enlever toute humanité à des prisonniers considérés comme des éléments « parasites, des nuisibles étrangers au peuple russe ». Si les prisons russes ne sont pas considérées comme les pires du monde[1], (la France fait partie des nations ayant les pires conditions de détention), elles sont réputées pour utiliser la torture systématique afin de dissuader les détenus de porter plainte, le tout avec la complaisance du parquet local. Même préparé, Simon était loin d’imaginer le traitement qui allait lui être réservé dès son arrivée.

— Pas la tête, pas la tête, j’ai dit ! Il entendait encore la voix d’un des gardiens qui semblait commander à ses bourreaux. En tout cas pas encore ! Avait-il rajouté au milieu des rires de ses collègues.

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Pour l’administration pénitentiaire, la bastonnade est un acte de pédagogie. Il s’agit de bien faire comprendre au prévenu qu’ici, il doit obéir, obéir servilement à tout le personnel de la prison. Simon Tchekhov ne mit pas longtemps à comprendre qu’il avait échappé à la technique pour attendrir un prévenu signalé difficile. Celui-ci était alors bâillonné avec du papier collant pour l’empêcher de hurler, ensuite les matons tapaient sur le détenu debout les jambes écartées avec des manches de pelle jusqu’à ce qu’il s’écroule sans connaissance.

Le jeune homme avait compris qu’il s’agissait aussi d’un avertissement envers ceux qui seraient tentés par la révolte citoyenne[2]. La sinistre culture du servage qui marque l’âme slave avait trouvé dans sa justice les moyens de garroter toute forme d’opposition dérangeante. Derrière les barreaux, dans un pan le plus inhumain de leur société, aucun Russe ne peut ignorer qu’il y règne humiliations et mauvais traitements. Chaque année, des milliers de détenus de droit commun sont victimes de tabassages, tortures ou viols. Mais derrière ces exactions se cachent les multiples misères que les gardiens, jamais à cours d’imagination, sont capables d’imposer à leurs prisonniers : les priver de chaussures ou de vêtements en hiver dans des cellules non chauffées faisait ramper les plus solides et mourir les plus faibles.

Dès le début de son séjour dans les geôles de Dimitrovgrad, Simon découvrit la perversité de l’administration pénitentiaire. Quand des décès venaient à la connaissance du public, elle accusait les prisonniers d’être à l’origine des exactions. D’ailleurs, c’était en partie vrai car la direction de la prison utilisait les conflits entre les prisonniers pour faire taire les plus récalcitrants. Lors d’exceptionnelles inspections, chacun savait qu’il fallait se taire sous peine de sévices pouvant aller jusqu’à la mort. Les rares ayant tenté leur chance étaient maintenus en isolement et quant à ceux qui se plaignaient une fois sortis du pénitencier, ils faisaient l’objet d’une surveillance policière particulière.

À tout moment la police locale pouvait les arrêter sous un prétexte quelconque pour les renvoyer dans l’établissement qu’ils venaient de quitter. Mais le plus sordide, comme l’apprendra plus tard Simon, c’est lorsque l’administration du pénitencier impose au prisonnier malade de porter sur lui un badge avec l’inscription « Tendance suicidaire » afin de se couvrir en cas de décès. Pour l’administration pénitentiaire, les décès des détenus étaient la meilleure des solutions pour faire face à la surpopulation dans la mesure où les maladies contagieuses n’étaient pas soignées faute de moyens adaptés. Beaucoup de prisonniers russes sont tuberculeux ou souffrent d’hépatites dues à la consommation de drogues illicites, sans parler des MST[3] courantes et du Sida, la plus redoutée des pathologies lourdes contre laquelle aucune prison ne peut faire face.

Un énorme gardien l’avait trainé à demi-inconscient jusqu’à sa cellule. Simon n’avait gardé de ce moment que le souvenir de son odeur de soupe à la citrouille et des yeux rivés sur lui des autres prisonniers dont le commentaire de l’un d’eux ne cessera de l’obséder : Tiens de la viande fraîche pour Petrior.

Sa cellule minuscule aux murs glacés contenait deux lits superposés, une table et un banc métallique fixés à la cloison. Au fond, un simple trou donnait sur des latrines. On finissait par oublier l’odeur qui vous sautait à la gorge. Un homme à la peau pâle, maladive, le torse nu couvert de cicatrices semblait dormir. La lumière ne venait que par une lucarne en haut du mur donnant sur l’extérieur.

Les dirigeants de la prison considéraient Nat Goumeniouk, comme une « forte tête ». Il entamait sa sixième année, alors qu’il avait été emprisonné pour quatre ans pour rébellion à la force publique en 2008. Pris dans une rafle, cet homme de 34 ans, père de deux jeunes enfants, avait passé la majorité de sa peine en « isolement ». Statut qui lui interdisait tout contact avec sa famille, ses proches et son avocat.

Simon comprit rapidement les raisons de leur cohabitation. Le message était clair. Tente de résister et tu seras traité comme ton codétenu. C’était terrifiant. D’autant que ce dernier ne fit rien pour le rassurer. L’un des camarades de Goumeniouk était devenu pratiquement aveugle après une séance de bastonnade. Maxim Zubril, 29 ans, un autre détenu qui avait tenté de résister au système ne marchait plus. La prison l’avait laissé invalide. Il avait eu de la chance, un autre était resté paraplégique et incontinent après avoir été mis en prison pour vol de portable.

Son compagnon d’infortune prit aussi le temps de lui faire comprendre la hiérarchie qui conditionnait désormais sa vie de détenu. De véritables castes gouvernaient la prison et même les gardiens s’y conformaient par crainte de représailles envers leur propre famille. L’équilibre de la terreur en somme. Goumeniouk lui expliqua qu’au sommet, il y avait les « Blatnye« . Des bandits d’honneur pour qui la prison était une étape de leur carrière criminelle.

— Ils refusent de travailler – lui avait expliqué son codétenu – car le milieu ordonne que les Blatnye n’aient aucun contact avec le pouvoir officiel, l’administration. Issus des mafias, ils ne doivent pas être mariés, ni avoir effectué leur service militaire. Ce sont eux qui arbitrent les conflits survenus dans les cellules et dirigent la vie des détenus, parallèlement à l’administration pénitentiaire.

— En dessous d’eux, – continua-t-il – on trouve les « Blatnye« .  » qui ne font pas carrière dans le monde du crime. Ils doivent respecter les règles du milieu et refuser de collaborer avec l’administration carcérale. Bien qu’étrangers au monde des Blatnye, ils peuvent, en fonction de leur expertise professionnelle être sollicités pour la résolution d’un problème. Viennent ensuite les « Kozly » : les traîtres, qui travaillent et collaborent avec l’administration pénitentiaire. Ils sont évidemment détestés par tous. Nat Goumeniouk s’interrompit pour observer le jeune homme encore pâle de douleur. Il le mit en garde sur le risque de se faire piéger dans cette hiérarchie.

— Tu es jeune et mignon, tu vas faire l’objet de nombreuses sollicitations, dont certaines très brutales. Si tu ne sais pas te battre, tu seras l’esclave des autres détenus. Tu seras alors un « petoukhi ». Nat lui expliqua, qu’il s’agissait d’homosexuels assumés ou d’esclaves désignés. Ils assouvissent les besoins sexuels des détenus, sont méprisés, bien que parfois défendus par certains codétenus.

— Sache enfin qu’au bout de la chaîne, tous sont ligués contre les prisonniers politiques. Ce qui est mon cas, acheva Nat en montrant ses nombreuses cicatrices. Ici chacun reste maître de son destin. Chacun doit répondre des insultes et régler seul ses problèmes. Si quelqu’un se fait agresser, il doit répondre. Ce n’est qu’ensuite qu’un tiers peut intervenir. S’il intervient avant, cela lui sera reproché. Si tu montres la moindre faiblesse, tu es mort !

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Simon n’eut pas à attendre bien longtemps. Malgré son désir de rester allongé dans sa cellule, Nat lui intima l’ordre de le suivre :

— Si tu restes seul ici alors que la cellule reste ouverte le temps du déjeuner, tu vas avoir des ennuis, sûr ! C’est l’heure où les matons peuvent venir fouiller tes affaires et, si cela leur plait, te les voler.

Simon suivit son codétenu sans plus de résistance, conscient d’avoir la chance d’être aidé par un compagnon pour décoder l’univers effrayant, hors du monde, qui était devenu le sien. Il pensa alors à ses quelques amis laissés sur le front ukrainien, avec envie. « Quel c…. J’ai été ! » pensa-t-il. Et immédiatement après, l’urgence de se débrouiller pour prévenir Raveszac de sa situation. Il était le seul qui pouvait encore l’aider.

Nat Goumeniouk s’était glissé derrière lui et le guidait à voix basse vers la cantine où une centaine au moins de prisonniers se pressaient devant un comptoir où ils récupéraient une soupe trouble, un quignon de pain noir et aussi, curieusement, un oignon. Nat lui expliqua que c’était pour éviter le scorbut, faute de fruits. Simon apprit vite les gestes qui permettent de manger au plus vite sa maigre pitance. Déjà, non loin, il avait remarqué qu’un prisonnier s’était fait chiper son pain et son oignon par deux détenus qui lui avaient fait le « coup du portefeuille » exercice coordonné consistant à coincer simultanément et violemment une personne entre ses deux agresseurs. L’un d’entre eux aperçut Simon qui les regardait. Il se tourna vers son complice à qui il glissa quelques mots à l’oreille. L’autre se retourna et fit une grimace vicieuse au jeune homme en lui tirant la langue. Nat lui glissa, alarmé,

— Ne les regarde pas. Ce sont les frères Missiovchy. Des pourris qui traquent tous les détenus pour leur voler leur nourriture, ensuite, ils vont la négocier avec leurs amis.

Nat ne pouvait pas savoir que sous sa vilaine combinaison, son jeune compagnon était athlétique et surtout qu’il avait l’expérience de nombreuses heures passées avec son ami Sid, son instructeur en close-combat. « Taper vite – faire mal – être cruel », il était préparé. Surtout il savait par ses échanges avec les prisonniers de Moscou que tout refus de combattre était considéré comme une faiblesse qui vous marquait à jamais. Quel qu’en soit le prix, il devait se faire respecter. Le sourire retors des deux hommes qui s’approchaient, sûrs d’eux, sans crainte des regards des autres condamnés et des gardiens, lui faisait comprendre qu’il était déjà confronté au « bizutage » dont on l’avait prévenu.

L’un des deux hommes commença à se glisser à la droite du jeune homme en écartant brutalement Nat. Le second était déjà en train de passer sur la gauche en tendant la main vers la maigre pitance de Simon. Le bras de Simon partit en faucheuse derrière le cou de son agresseur le forçant par son geste à rencontrer brutalement la table et le bol de soupe brulante. De l’autre bras, Simon avait remonté brutalement son coude sous la gorge de celui qui voulait le coincer à sa droite. Le sourire du frère Missiovchy s’effaça pour se transformer en grimace de souffrance et de stupéfaction pendant qu’il portait la main à sa gorge en tentant de respirer. Son complice, le visage tuméfié, n’était pas en meilleur état, mais Simon savait que cela devait tourner à la correction s’il voulait impressionner les autres taulards. Il n’attendit pas que les deux voyous se ressaisissent. Il bondit sur le banc pour se trouver à bonne hauteur puis, avant qu’ils aient pu réagir, il leur décocha un coup de pied au visage qui les envoya complètement sonnés, sous la table.

Ensuite il fit le gros dos. Les gardiens lui avaient sauté dessus vociférant des injures. Sa seule satisfaction fut la tête que fit Nat Goumeniouk lorsque, malgré les coups qui l’assommaient, il réussit à lui faire un clin d’œil complice et narquois.

La suite, une peine d’isolement de trente jours, fut moins drôle et même particulièrement pénible, mais sa réaction avait impressionné favorablement. Un Blatnye des plus respectés demanda – officieusement – à un des gardiens de lui amener le dossier du jeune homme. Il y apprit que Simon n’était pas un simple Géorgien mais le fils de deux Russes l’une pianiste, l’autre professeur de français, qui se trouvaient en Géorgie lors de sa naissance. Vladislav Zakone, le doyen des prisonniers russes et l’arbitre de bien des conflits, ne prit aucune décision sinon celle de garder le jeune homme sous observation. Il fit savoir, néanmoins, que l’on ne devait pas importuner le jeune prisonnier. Le conseil circula suffisamment vite pour que Simon échappe, sans qu’il s’en rende compte, à bien des tourments.

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A Dimitrovgrad, Simon Tchekhov se refusait à devenir un prisonnier ordinaire. Un fauve, à la fois peureux et craintif. Comme tous les détenus, il était habité par la rage et les frustrations d’un traitement inhumain que tous subissaient, tous égaux dans la misère et la douleur. Elles faisaient d’eux des bombes capables de tout pour manger, pour échapper à une bastonnade, pour survivre. Les gardiens ne leur laissaient guère de répit. Simon apprit à courber l’échine et à se prêter aux jeux pervers de ses geôliers. Les coups, la fouille anale agrémentée de commentaires salaces, les menaces de se voir envoyer au mitard au moindre prétexte, faisaient l’ordinaire des prisonniers. Rares étaient ceux qui pouvaient éviter un prolongement de leur peine, même protégés par leurs clans. Quelques têtes brulées découvraient, à leur détriment, l’incroyable connivence entre les tribunaux et les responsables de ces établissements de « rééducation ». Toute révolte, toute dénonciation « calomnieuse » portée par un détenu qui aurait réussi à avoir l’oreille d’un média – le plus souvent occidental – étaient sanctionnées par des années de prison supplémentaires.

Simon avait été affecté à un atelier de fabrication de pièces électroniques qui arrivaient par milliers tous les jours. Les détenus avaient pour mission d’assurer leur montage correct. Gare à celui qui faisait une erreur, elle était aussitôt interprétée comme la volonté de saboter le travail. La routine s’était vite installée. Simon montait ses pièces avec facilité tout en pensant à bien d’autres choses ce qui, loin de le distraire, lui causait une souffrance insupportable. Il s’en voulait terriblement de sa stupidité, de son manque de clairvoyance qui le retenaient ici loin de sa sœur dont il ne savait plus rien. D’instinct il avait compris que cela ne servait à rien de tenter de la contacter, il ferait aussitôt l’objet d’un chantage classique des gardiens qui exigeraient des cadeaux de la famille pour être « gentils ».

Pour l’instant il tenait bon. Curieusement, les autres détenus semblaient vouloir lui ficher la paix. Mais il commençait à se dire en son for intérieur qu’il ne tiendrait pas bien longtemps avant de devenir un de ces êtres avachis, serviles ou fous de rage qui hantaient les lieux. Malgré ses réticences, encore une fois, il savait que seul Raveszac, le chef mafieux, pouvait le sortir de là. C’était en tout cas l’espoir qui le tenait debout. Encore fallait-il pouvoir le joindre… son impuissance à trouver une solution le rongeait. « Enfermé et sans pouvoir communiquer avec l’extérieur et d’ailleurs vers qui se tourner !? » se disait-il.

Il était là depuis six mois lorsqu’un gardien vint le chercher en cette fin de matinée d’avril 2015. A quelques jours de la date anniversaire de la naissance de sa sœur, avait-il pensé. Sans un mot, celui-ci l’amena au bureau de l’administration. Là, on le fit attendre une bonne heure à ruminer sur la raison de sa convocation avant d’être entrainé dans le bureau du directeur de la prison. Il ne l’avait pas revu depuis son arrivée.

Petrior Mikhaïlovitch se tenait debout, toujours tiré à quatre épingles, les mains croisées sur sa petite bedaine. « En bonne santé, le salaud. Quel coup tordu me prépare-t-il ? » ne put s’empêcher de penser Simon qui restait sur ses gardes. Non, celui-ci avait l’air affable et, surprise, un mince sourire déridait son visage, ordinairement indifférent et glacé.

— Monsieur Simon Tchekhov-Macharine, vous avez passé dans notre établissement le temps nécessaire pour que nous constations que votre comportement ne posait pas de problèmes particuliers à notre administration. Puis il fit une pause, comme s’il cherchait ses mots.

— Nous n’avons pas le pouvoir judiciaire de faire modifier votre peine, tout au plus celui de rendre votre séjour plus ou moins pénible. Me comprenez-vous ? Pour Simon, le regard de Petrior Mikhaïlovitch s’apparentait à celui d’une hyène prête à attaquer son dîner. Il acquiesça de mauvaise grâce.

— Bien, j’ai noté que votre dossier faisait état de votre métier de pianiste. Est-ce bien le cas ?  Simon qui ne voyait pas pourquoi il devrait détromper son interlocuteur acquiesça à nouveau.

— Venez ! A la surprise de Simon, le directeur lui tourna le dos pour ouvrir une porte recouverte de tissu derrière son bureau.

— Venez !  Répéta-il impatient face à l’hésitation de Simon.

Le gardien qui était là, ne bougea pas, tandis que Simon entrait dans ce qui était visiblement l’appartement du responsable de l’établissement pénitentiaire. Mikhaïlovitch l’entraina dans un long corridor qui ouvrait sur des pièces qui lui restèrent fermées et mystérieuses, avant d’arriver dans un grand salon au style un peu suranné mais coquet où trônait – Simon ne pouvait le manquer – un piano droit, un Pleyel. Il se dirigea vers le piano suivi d’un Simon encore incertain quant aux intentions de son geôlier.

— Jouez… s’il vous plaît ! La formulation polie de la demande surprit Simon autant que l’intention du directeur de le voir jouer. Il ouvrit le couvercle qui protégeait le clavier sous lequel il trouva un long chiffon sans doute destiné à le nettoyer.

Puis-je ? demanda Simon en montrant un siège dans le salon, le piano n’ayant pas de tabouret. Sans attendre de réponse, il l’installa devant l’instrument aux touches jaunies par les ans. Le jeune prisonnier de Dimitrovgrad caressa longuement le clavier avec le chiffon, faisant claquer les touches et le pédalier, les doigts encore engourdis par le froid. Puis il entreprit de jouer quelques morceaux connus dans une sorte de pot-pourri afin de tester l’état des marteaux et la sonorité des cordes. Pas de doute, le piano réagissait très bien. Le facteur de piano, il en était sûr, était passé contrôler l’instrument avant son arrivée. Le regard brillant et satisfait du directeur de la prison lui donna raison. Simon cessa de jouer, les mains sur le clavier, il attendit une réaction ou un commentaire de son auditeur. Celui-ci, le surprit en se tournant vers la porte du couloir restée dans l’ombre.

— Viens Raya. Une mince jeune femme s’avança dans la lumière déversée par les grandes baies de la pièce.

— Raya, mon épouse, a commencé des études de piano mais a dû les interrompre après ma nomination à mon poste actuel, commenta Petrior Mikhaïlovitch en se tournant vers le jeune homme ébahi par l’entrée de la nouvelle venue.

— Je souhaite lui donner l’occasion de continuer à apprendre à jouer et à s’entrainer. Il fit silence comme s’il méditait ce qui allait suivre, hésitant.

— Accepteriez-vous de l’aider ? Simon restait sans voix ne sachant quelle contenance prendre. La demande du directeur de la prison, il le réalisa immédiatement, le mettait sous le feu de ses compagnons d’infortune qui ne lui pardonneraient pas sa complicité avec leur bourreau. D’un autre côté, il ne pouvait s’empêcher d’être fasciné par l’étrange poupée qui s’était avancée vers eux. Le visage lisse semblable à une porcelaine chinoise, le pas glissant, on aurait dit une sorte de fantôme féminin, gracieux et hors du temps.

— Où ce salaud avait-il pu trouver un ange pareil ? se demandait Simon. Les yeux de la femme ne le quittaient pas, remplis d’une étrange avidité, comme suspendus à sa réponse. Seules ses mains, qui froissaient le bord d’une jupe trop longue cachant un corps menu, trahissaient sa nervosité.

Sur ce visage de porcelaine, des pommettes saillantes, un nez droit et une bouche trop rouge renforçaient son étrange apparence. Une marionnette avec laquelle Petrior Mikhaïlovitch jouait sans doute, se dit le prisonnier. Il vit le directeur s’impatienter, attendant une réponse à sa demande. Simon, inclina la tête sans répondre.

— Pourrait-elle jouer un morceau pour que je me fasse une idée de son niveau ? L’autre se tourna vers sa femme pour, du regard, lui ordonner de prendre place devant le piano.

S’adaptant à l’assisse malaisée de la chaise que Simon venait de quitter, la jeune femme s’installa en silence. Les doigts hésitaient, elle coula un regard furtif au jeune homme puis sans plus hésiter se lança dans un morceau que ce dernier entendait pour la première fois. Son jeu manquait un peu d’assurance mais elle ne fit aucune faute. Le jeune homme hésitait : où voulait en venir le directeur de la prison de Dimitrovgrad !? Le visage de porcelaine se tourna vers lui, exprimant une interrogation, un appel silencieux, intense, qui le troublait profondément. Mikhaïlovitch, le relançait, plus sèchement.

— Alors ? Simon avait compris. C’était la femme qui était demandeuse, pas le mari.

— Pas de problème, je vais l’aider. Se tournant vers l’épouse étrangement inerte maintenant :

— Que jouiez-vous ? je ne connais pas ce morceau.

The Giver-Rosemary’s, souffla-t-elle d’’une voix de petite fille qui l’étonna. Une musique de film, ajouta-t-elle en se levant pour quitter la pièce sur l’injonction silencieuse de son époux. Simon se leva à son tour pour suivre le directeur qui l’entrainait vers son bureau où l’attendait encore le gardien figé sur place.

— Je vous ferai signe prochainement, se contenta de conclure le mari de Raya.

Pour Simon, encore sous le choc de la rencontre, le souvenir de la beauté de la poupée silencieuse et réservée de Mikhaïlovitch hantait désormais ses nuits. Le compagnon de cellule du jeune détenu était un homme malade mais avisé. Il souligna l’extrême danger pour ce dernier d’accepter la proposition du dirigeant de la prison, l’homme le plus haï de tous, gardiens compris. C’est lui qui eut l’idée de suggérer à Simon de rencontrer Vladislav Zakone, le doyen des prisonniers, un des Blatnye les plus respectés, pour lui demander conseil. Nat avait payé chèrement le droit de se faire respecter par les criminels de Dimitrovgrad. Pour autant sa demande de rencontre entre Simon et le doyen Zakone ne fit l’objet d’aucune réaction. Les jours passèrent. Monotones, sans que ni Petrior Mikhaïlovitch, ni le Blatnye ne donnent signe de vie.

Le souvenir de la femme poupée et la magie de la musique avaient sorti Simon d’une sorte de léthargie qui le coupait du monde et le protégeait des avanies des gardiens. L’espoir de retrouver dans la musique un espace de liberté lui faisait sentir plus encore la cruauté de sa position, de son destin. Il devint dangereusement distrait dans son travail et commença à faire des erreurs.

La sanction ne tarda pas. Une semaine de mitard plus tard, il reprenait le travail. Dans le couloir éclairé à giorno vers son atelier, deux hommes sortirent tout à coup de nulle part. Le premier, un véritable colosse, lui saisit le bras d’une main de fer pour l’attirer vers une porte ouverte par un gardien. Lui aussi sentait la citrouille ne put s’empêcher de noter Simon dans une sorte d’état second, pendant que l’énorme prisonnier qui l’entrainait lui chuchotait à l’oreille,

— Notre Blatnye veut te voir. Simon, un bref instant tenté de résister, se laissa faire non sans s’être inquiété de son absence aux ateliers.

 Pas de problème, mec, mon copain va te remplacer, lui répondit l’armoire à glace qui le tenait fermement en lui montrant de la tête le second homme qui partait au travail à sa place. Simon ne résista plus. De toute façon, il n’avait pas le choix et après tout, c’est bien ce qu’il souhaitait, rencontrer Zakone.

S’il se faisait à priori du Blatnye l’idée d’un homme impressionnant, il en fut pour ses frais. L’homme devant lui, qui l’observait sans un mot, entouré de deux autres détenus aussi imposants que celui qui l’avait trainé jusque-là, était un vieil homme torse nu, maigre à faire peur. Au milieu d’un visage mat, deux yeux brillants et rusés regardaient fixement son invité. Son corps était couvert de tatouages, pas un centimètre de peau n’avait échappé aux différents artistes qui l’avaient couverte d’images colorées. Elles semblaient raconter une histoire que ne comprenait pas Simon. Mais il ne manqua pas de noter les signes qui marquaient les poignets et les épaules de son hôte.

Dans les prisons russes, des tatouages plus ou moins mystérieux montrent l’appartenance à un groupe mafieux. Mais contrairement à ce qui se passe dans les prisons américaines où ils restent en guerre permanente, les détenus membres des différentes mafias russes se respectent généralement et se protègent mutuellement contre leur ennemi commun, l’administration.

Simon faisait face au second patron de la prison, celui qui avait, lui aussi, droit de vie et de mort sur les détenus qu’il pouvait, ou non, protéger des abus des matons. Ils se trouvaient dans la buanderie, Zakone était assis sur un tas de linge. L’air sentait l’humidité poisseuse dégagée par d’énormes machines à laver qui tournaient à côté d’autres visiblement destinées à défroisser et sécher les draps et autres linges qui en sortaient. Des prisonniers travaillaient non loin, ignorant avec application la présence du petit groupe. Simon ne voyait pas un seul gardien sur place.

Plus tard, il apprit que les gardiens se montrant trop zélés avec les protégés de Zakone se mettaient à avoir des problèmes dans leur vie familiale où des accidents fâcheux pouvaient aller jusqu’à une disparition inexpliquée. Une sorte d’équilibre de la terreur qui faisait de Zakone, non seulement un arbitre, mais aussi le protecteur des prisonniers, sauf les politiques, bien sûr, lui avait encore précisé son compagnon de cellule. Silencieux, le caïd regardait Simon qui essayait de faire bonne figure face au petit groupe. Un mince sourire éclaira soudain la face sombre du vieil homme.

— Ainsi tu voulais me voir ? Eh bien, me voici, qu’as-tu à me dire ? Simon restait pétrifié, impressionné par la voix sourde du mafieux, frêle silhouette encadrée par les deux brutes tout aussi tatouées que lui.

— Peut-être voulais-tu me parler de la proposition du directeur. Il sourit devant la mine effarée du jeune homme.

Tout se sait, tu l’apprendras toujours assez tôt. Ici, rien n’est secret. La voix étrangement grave avait repris.

— Qui es-tu jeune Simon ? Penses-tu pouvoir m’être utile, ce qui justifierait que je m’intéresse à toi ?

Simon eut l’intuition que l’étrange vieillard ne lui voulait pas de mal et qu’il devait s’en faire un allié. Alors, toujours debout devant le groupe silencieux, il raconta les circonstances qui l’ayant conduit à Dimitrovgrad. Si les deux gigantesques molosses ne purent retenir des rires moqueurs face à l’ingénuité du garçon, le Blatnye ne broncha à aucun moment. Sauf, sauf, lorsque Simon raconta qu’il était parti pour aller rechercher sa sœur retenue chez Jonas Raveszac. Le nom du parrain d’Arianna, visiblement lui parlait. Pourtant il n’y fit pas allusion lorsqu’il reprit la parole.

— Tu veux savoir ce que je pense de l’invitation de notre cher directeur ? Il laissa passer quelques secondes avant de reprendre.

— Ce fils de pute et sa diablesse de femme ne méritent aucune concession. Mais je sais qu’il se vengera si tu refuses. Songeur, le vieux reprit. Tu dois être conscient que ce type est un tordu.  Devant la mine interrogative de Simon, le Blatnye lâcha.

— Tous les jeunes gens qui sont passés dans leur appartement ont disparu un jour. Ils sont supposés avoir été libérés mais nous pensons, nous, qu’ils pourraient avoir bel et bien fini autrement. Nous n’en savons pas plus.  Le visage de Zakone était plissé par la réflexion.

— Voilà, nous te laisserons donner des cours de piano à sa femme – que personne ici ne connaît – à la condition que, quoi qu’il se passe chez lui, tu nous en fasses à chaque fois la relation détaillée. Nous devons savoir ce que deviennent les prisonniers qui passent chez lui. Sommes-nous d’accord ?! La voix devenue mordante ne souffrait guère de discussion. Simon opina du chef. L’entretien semblait terminé. Les gardiens commençaient à bouger, suivis de Simon, lorsque le Blatnye l’interpella :

— Dis-moi mon garçon, es-tu sûr que c’était seulement ce que tu voulais me demander ?! Simon s’arrêta, pétrifié sur place, une fois de plus.

— Jonas sait-il que tu es ici ? Le jeune homme marqua un temps d’arrêt, ne pouvant cacher sa surprise. Le vieil homme se levait à son tour montrant qu’il était d’une taille bien supérieure à la moyenne.

— Non, il ne le sait pas, pas encore. Zakone fit comme s’il n’avait pas entendu la réponse et ne réagit pas.

— A bientôt, Simon Tchekhov. Ne t’inquiète pas pour ton absence, elle a été couverte et attends-toi à avoir des nouvelles de Mikhaïlovitch. Il se leva pour s’enfoncer vers le fond de la buanderie, suivi de ses deux gardes du corps, sans plus s’occuper de son invité.

Le gardien qui l’avait amené à son étrange rendez-vous réapparut subitement. Quelques minutes plus tard Simon se retrouva à l’infirmerie de la prison où un simulacre de visite se termina par un verre d’eau et un cachet d’aspirine supposé prévenir un début de bronchite due au froid glacial. Manœuvre, il ne s’en étonna pas, destinée à donner quelque crédibilité à son absence au travail.

Nat Goumeniouk ne manqua pas d’être surpris par la relation que lui fit Simon de son entretien en évitant néanmoins de lui parler de l’avertissement de Zakone à propos du directeur. Si la prison n’avait pas de secret, ce n’était pas une raison pour parler à tort et à travers, se dit-il en pensant, fugitivement ému, que c’était l’une des formules préférées de son père. Le Blatnye avait raison. Deux jours plus tard, il était convoqué chez le directeur.

**************

Le petit homme, toujours tiré à quatre épingles, l’attendait debout derrière son bureau. Libérant d’un geste impatient le gardien qui l’avait accompagné, il lui ouvrit la porte pour se diriger une fois de plus dans le salon où trônait le Pleyel. La pièce était vide. Mikhaïlovitch semblait étonnamment nerveux, ce qui ne rassurait guère Simon sur ses gardes, l’esprit plein des avertissements de Zakone. Il sentait le directeur tendu lorsqu’il reprit soudainement la parole.

– Prisonnier Tchekhov, je veux croire que vous êtes conscient que je vous fais ici une immense faveur en vous laissant venir dans mon appartement et une faveur encore plus grande en vous demandant de donner des cours de piano à mon épouse. Le comprenez-vous ? La voix montait, à la limite du hurlement, figeant Simon qui ne put qu’hocher la tête en balbutiant un :

— Oui monsieur, servile.

— Je compte sur votre entière discrétion et votre complète coopération pour ne pas colporter de ragots. Simon hocha à nouveau la tête.

— D’ailleurs, continuait le directeur, je vous ai fait déménager dans une nouvelle cellule plus confortable, ce qui, vous le savez, est un luxe que peu d’entre vous peuvent connaître. Il laissa passer quelques secondes, le temps que Simon assimile la faveur et surtout le fait qu’il était mis en quelque sorte à l’isolement. Simon se félicitait in petto d’avoir pu rencontrer Zakone. Le vieux Blatnye, selon toute vraisemblance, avait eu vent de sa prochaine convocation. L’autre continuait

— J’espère, jeune homme, que vous comprendrez que tout manquement vous vaudrait de partir en enfer pour le reste de votre détention. Sommes-nous bien d’accord !?  La voix à nouveau montait dans les aigus, malsaine, Simon la sentait chargée d’inquiétude. Apparemment l’affaire n’était pas évidente pour lui non plus, songea-t-il. Il hocha la tête en signe d’assentiment.

— Vous pouvez compter sur mon silence lâcha-t-il, désireux d’apaiser son interlocuteur et de désamorcer sa méfiance. Mikhaïlovitch se calma aussi vite qu’il s’était énervé.

— Bien, mettons-nous au travail, répliqua-t-il en quittant le salon quelques instants pour revenir avec sa femme toujours aussi maquillée, toujours laissant cette impression d’être déguisée comme une poupée. Simon subjugué la comparait aux images de geishas de ses lectures. Une geisha silencieuse, la mine modeste et les yeux baissés. Afin de se donner une contenance, il tenta de se souvenir des leçons de sa mère.

—  Voulez-vous bien vous asseoir ? Commença-t-il en prenant un siège dans le salon. Il se tourna vers le directeur.

— S’il vous plaît, pourriez-vous lui procurer un tabouret de piano ou un petit banc pour travailler ?

Petrior Mikhaïlovitch qui, sans le réaliser sans doute, fixait sa femme tel un rapace sa proie, le regarda à nouveau comme s’il était invisible, faisant intérieurement frissonner le jeune homme.

— Je vais essayer. Mais attendez, je crois avoir déjà la solution. Il revint quelques minutes plus tard, sans que Simon ni son épouse Raya n’aient échangé un mot. Il s’agissait d’un petit banc de jardin, sans doute inconfortable mais plus approprié pour s’exercer au piano. Simon marqua sa satisfaction et se pencha vers la jeune femme qui venait de s’installer sur le banc. Il avait noté la tension qui crispait ses épaules.

 Madame, s’il vous plaît, pourriez-vous vous mettre debout ? Elle se leva, le visage toujours impassible, comme une marionnette que l’on aurait commandée. Sous le regard du directeur, Simon sentait un malaise croissant l’envahir.

— Madame vous êtes trop crispée, vous devez vous détendre avant tout si vous souhaitez faire des progrès … Voilà, imitez-moi. Et Simon de faire, face au directeur pour le moins éberlué, des mouvements des épaules et des bras en expliquant qu’ils avaient pour but d’échauffer et de détendre les articulations de son épouse.

— Maintenant, vos mains, vos poignets, faites-les bouger, comme ça. Il lui montrait les gestes à faire. Elle l’imitait, sans trop y mettre de conviction. Simon ne pouvait s’empêcher de se demander ce qui n’allait pas chez cette femme apparemment encore jeune et plutôt jolie malgré son maquillage outrancier. Pour se donner une contenance, il s’approcha du lutrin où se trouvait une liasse de partitions.

— On pourrait commencer par un petit exercice. S’il vous plaît, choisissez un des airs que vous aimez jouer.

L’épouse du directeur prit une partition puis sans attendre se mit à jouer, avec de plus en plus d’assurance, le morceau qu’elle avait choisi. Mais le plus important était ailleurs. Simon ne pouvait manquer de noter que l’impassibilité de la poupée s’évaporait au fil des notes. Le visage de Raya reprenait une expressivité qui visiblement enchantait Mikhaïlovitch. Comme gêné d’avoir été surpris en situation de faiblesse, il se redressa vivement et fit demi-tour vers son bureau non sans indiquer à Simon,

— Vous avez droit à une demi-heure. Il s’éloigna sans avoir l’air de se préoccuper de laisser un prisonnier seul avec sa femme. Simon restait interloqué cherchant le piège qu’on lui tendait. C’est alors que la poupée geisha releva les yeux et, bien vivante maintenant, le rassura en lui disant,

— Il ne reviendra que dans une demi-heure tapante. Il sait qu’il ne doit pas revenir avant. Venez. Jouez-moi quelque chose, lui demanda-t-elle en se poussant un peu pour que Simon puisse s’installer à côté d’elle.

Le jeune homme, après une hésitation, vite abandonnée sur le geste d’invite de la jeune femme se mit au piano. L’idée de jouer à côté d’elle le troublait et le terrifiait à la fois. Il sentait sa cuisse chaude le toucher et il devait se faire violence pour se concentrer sur un air qui pourrait servir de base à la leçon de piano. Il cherchait désespérément comment faire le vide dans sa tête, lui qui depuis des mois et des mois n’avait pas vu ou touché une femme. Un très léger parfum de cannelle imprégnait sa personne. Il songea alors qu’elle devait l’utiliser pour sa cuisine.

— Vous faites des pains d’épices, n’est-ce pas ? C’était sorti malgré lui. C’est une femme tout à fait différente de celle qui était entrée dans la pièce qui lui répondit.

— Oui, un peu. Je vous en apporterai si vous aimez ça. Un silence qui ne gênait que lui s’installa. Elle le regardait sans timidité, bien loin de son attitude en présence de son mari. Cela lui donna l’audace de continuer.

— Vous sentez bon, lui souffla-t-il. Elle sourit sans répondre.

Durant ce temps malgré des doigts rendus gourds par le manque d’exercice, il retrouvait une valse de Chopin qui plaisait à sa mère et sur laquelle, il s’en souvenait maintenant, elle dansait avec son père. Une vague de tristesse l’étreignit au point de lui faire monter les larmes aux yeux. Il sentit alors une main chaude se poser sur sa cuisse le ramenant brutalement dans le salon du directeur de la prison.

— Vous êtes triste, n’est-ce pas ? Simon se contenta d’acquiescer, troublé par cette soudaine intimité alors qu’il tentait de finir son morceau. Il n’osait pas relever la tête, se concentrant sur son jeu, serrant les dents pour résister à l’émoi qui se manifestait dans son pantalon et qu’il ne pourrait cacher longtemps à cette femme dont la pression de la cuisse s’était accentuée comme si, imperceptiblement, elle s’était rapprochée de lui.

L’instinct du jeune homme et les avertissements du Blatnye lui commandèrent de se maîtriser. Il se savait inexpérimenté dans ses relations avec le sexe féminin mais cette situation tout comme l’attitude de la femme n’étaient pas normales. Tout à coup lui revint la phrase entendue lors de son arrivée, après sa première bastonnade :

— Tiens de la viande fraîche pour Petrior. « Petrior » c’était le prénom du responsable de la prison, comment pouvait-il l’avoir oublié !? Il s’écarta imperceptiblement, non sans noter avec quelque satisfaction le désappointement de son élève.

— Jouez, s’il vous plait, encore une fois, lui demanda celle-ci. La voix aussi avait changé, impérieuse. Simon reprit le clavier pour tenir en laisse son tempérament qui lui donnait envie de violer l’insane sur son piano. Il joua calmement « la sonate au clair de lune » de Beethoven, comme détaché des manœuvres d’approche de la diablesse à ses côtés. Diablesse dont, il ne pouvait le deviner, le ventre se tordait d’excitation à l’idée de son mari en train de se régaler de la scène, grâce à un miroir sans tain. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas été aussi gâtée : un beau jeune homme vigoureux qui lui plaisait beaucoup. Le dernier n’avait pas fait long feu. Elle sentait qu’elle allait bien s’amuser avec celui-là … et avec son mari.

**************

Sa seconde rencontre avec Zakone ressembla comme deux gouttes d’eau à la première. Il retrouva l’odeur de citrouille et l’aspirine. Mais l’entretien n’en fut pas plus facile. Le Blatnye écoutait le jeune homme debout qui achevait de lui décrire son entrevue avec le directeur et sa rencontre avec son élève. Visiblement son interlocuteur attendait autre chose. Le Blatnye se redressa légèrement pour le fixer durement.

— Dis-moi Simon, es-tu sûr de ne rien oublier ? Zakone n’avait pas élevé la voix, devenue coupante. Simon comprit qu’il devait ne rien omettre.

— Sa femme m’a fait des avances, avoua-t-il soudain rougissant et gêné.  Zakone, ne broncha pas,

—  On s’en doutait bien, figure-toi ! Il pencha sa longue silhouette vers Simon. Nous avons fait la relation entre cette femme et la disparition de certains des détenus appelés à travailler chez eux. Zakone continua.

— Le dernier était un ancien majordome condamné à des années de détention pour avoir tenté de détourner une partie de la fortune de son employeur.  Zakone ricana. Les fripouilles se détroussent volontiers entre elles. On a vu le majordome partir un jour avec son bagage … il n’est jamais plus reparu nulle part.  Zakone se redressa pour s’avancer vers Simon qui dut se retenir pour ne pas reculer. Le vieux mafieux prit le menton du jeune homme dans sa main en plongeant un regard noir dans les yeux de celui-ci.

— Son ancien compagnon de cellule n’a jamais pu lui sortir un mot de ce qui se passait chez l’enfoiré qui dirige ce cloaque. Mais nous savons au moins une chose ici… Le Blatnye laissa passer un souffle :

— Le sexe reste une des seules monnaies que peut négocier un détenu, surtout jeune et beau. Un détenu que j’ai protégé afin qu’il reste sur le marché ! Le regard de Zakone était étrangement froid.

— Tu vas être de plus en plus isolé des autres prisonniers. Sache-le. Nous gardons un œil sur toi. Méfie-toi. D’un signe de tête, il donna congé à Simon qui s’éloignait, accompagné par le costaud à l’odeur de citrouille, lorsqu’il entendit à nouveau la voix de Zakone :

— Au fait. Nous avons fait prévenir ton ami de ta présence parmi nous. Le cœur de Simon fit une embardée mais il ne se retourna pas. Un Simon qui comprenait avec effarement que, depuis le début, le vieux Blatnye avait pensé l’utiliser. Zakone voulait la tête de Petrior Mikhaïlovitch. En contrepartie, il offrait une voie de sortie possible à Simon.

[1] La prison de la Santé en France est numéro 6 des prisons les pires au monde !

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Prison_en_Europe Avec un taux sidérant de plus de 608 prisonniers sur 100 000 habitants la Fédération Russe est largement en tête de toutes les nations (moyenne internationale : 147) en matière d’emprisonnement.

[3] Maladies Sexuellement Transmissibles

Grace aux liens de la version numérique voyagez avec Simon et découvrez les créations musicales du compositeur et arrangeur : Erwan Boismarin et un pianiste de génie Pierre Yves Plat

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A propos de l'auteur

Denys

Denis Ettighoffer, est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Ses nombreux livres sont autant de contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Le voilà lancé dans une aventure comme il les aime, être reconnu à la fois par son imagination (pas le plus dur !) mais aussi comme un bon artisan de l’écriture romancée ( et ça c’est pas gagné !)

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